Champlain arrive au port de Blavet au moment où Guillaume Ellène, dit l'oncle Provençal, s'active aux préparatifs de départ. Comme il a une bonne expérience dans la marine, l'oncle Provençal lui trouve certainement une tâche de marinier qui l'occupe. Il dira plus tard, en s'adressant à Marie de Médicis, seconde épouse de Henri IV: "C'est l'art de naviguer qui m'a dès mon bas âge attiré à l'aimer, et qui m'a provoqué à m'exposer presque toute ma vie aux ondes impétueuses de l'Océan" Les navires du sieur de la Hautière quittent Blavet le 9 septembre 1598. Ils se dirigent vers le sud ouest à travers la baie de Biscay jusqu'à Cap Finistère, font une halte de sept jours à baie Vigo pour effectuer des réparations suite à une tempête, longent la côte sud à Cap Saint-Vincent et jettent l'ancre à Cadix où les prisonniers sont débarqués. Tous les autres navires (incluant le Saint-Jacques appartenant au sieur de la Hautière) sont retournés en France sauf le Saint-Julien qui se rend un mois plus tard au port de San Lucar de Barrameda où il mouille le port durant trois mois pendant que les Espagnols voient à l'organisation et la préparation des navires, de l'équipage, des armes, des vivres. etc… pour une expédition de défense des nouvelles colonies. Le navire français de 500 tonneaux réquisitionné par l'amiral Don Pedro Zubiaur(r)e qui le reconnaît comme "un fort navire et bon de voile" est aussitôt loué avec son capitaine pour faire service au roi d'Espagne et faire partie de cette expédition. C'est à ce moment qu'une flottille espagnole en provenance d'outre-mer apporte à San Lucar de Barrameda la nouvelle que le Duc de Cumberland s'est emparé de la ville de San Juan, la capitale de Porto Rico, aux Antilles. Puis, vers le 23 novembre 1598, les Espagnols apprennent d'un autre navire qui jette l'ancre à ce même port de mer que les Anglais ont déjà quitté l'île. Y a-t-il encore lieu d'envoyer la flottille de défense qui doit quitter l'Espagne au début de janvier 1599 ? Champlain semble alors avoir été en mesure de naviguer vers Porto Rico puisqu'il écrit: "ledict voyage fut rompu à mon grand regret pour me voir frustré de mes espérances". Entre-temps, une autre flottille est rassemblée pour le voyage annuel (l'armada) aux Indes occidentales. L'Amiral de cette flotte, Don Francisco Coloma, chevalier de Malte, remarque le Saint-Julien, inspecte le navire et le nolise au taux mensuel d'un écu, soit trois livres pour l'incorporer à la nouvelle flotte. Le départ de cette expédition n'est définitivement fixé que le 3 février 1599. Entre-temps, il se produit une autre évènement étrange. Le capitaine Provençal est déjà retenu par l'Amiral Don Pedro Zubiaur(r)e pour servir ailleurs (très en demande ce mystérieux, légendaire et valeureux capitaine !) et Champlain sera capitaine du Saint-Julien. Voilà un premier mensonge de Champlain ou du moins un compte-rendu erroné de ses faits et gestes dans le Brief Discours. Pourquoi ? Primo, les Espagnols de l'époque avec leurs informateurs et leurs espions ne peuvent ignorer que Champlain a été un fier partisan du roi Henri IV, ennemi juré du roi Philippe II d'Espagne. En dépit de la fin des hostilités (temporaires d'ailleurs) et ayant obtenu le grade de maréchal des logis, quelle confiance les Espagnols peuvent-ils avoir en Champlain ? Secundo, où et quand a t-il appris l'art et acquis l'expérience d'un capitaine transatlantique; certainement pas pendant cinq ans de carrière militaire en Bretagne. Tertio, Champlain ajoute que: "L'Amiral Don Francisco Coloma lui accorde résolument la permission de faire partie du voyage, avec toute évidence de satisfaction, me promettant ses faveurs et son assistance, ce qu'il ne m'a pas dénié lorsque les occasions se sont présentées". Ceci est aussi également fort douteux car les colonies sont fermées aux étrangers, plus particulièrement aux Français, des rivaux dangereux tant du point de vue puissance coloniale et commerce extérieur que politique coloniale et une nation partiellement sinon entièrement protestante aux yeux des Espagnols, étant donné que le commerce est majoritairement dans les mains des huguenots. Non, Champlain ne peut avoir été ni capitaine ni maître de bord sur un bateau affrété par les Espagnols et affecté aux Indes occidentales. Que s'est-il passé au juste après cinq mois de séjour en Espagne ? A t-il vraiment voyagé outre-mer ou est-il retourné en France ?

Le Brief Discours "Des choses plus remarquables que Samuel Champlain de Brouage a reconnues aux Indes Occidentales", un ouvrage de 115 pages in-quarto et de 62 dessins coloriés, rédigé au cours de l'été 1602 et au début de 1603 n'a jamais été publié du temps de Champlain. On note d'abord l'absence de la particule ''de'' entre Samuel et Champlain, ce qui indique sans équivoque que Champlain n'appartenait pas à la noblesse française de l'époque. Les cinq premiers croquis de Champlain dans le Brief Discours sont des plans très peu détaillés du Finistère, du cap Saint-Vincent, de San Lucar de Barrameda (faussement appelé San Luque de Harameda), de Cadix et de Séville. Champlain reste un mois à Cadix et trois autres mois à San Lucar de Barrameda situé à l'embouchure de la rivière Guadalquivir, et il visite Séville où il se rend aux Archives Générales Espagnoles des Indes Occidentales pour se documenter avant son voyage, ainsi qu'à certaines plus petites villes de la côte d'Espagne. Champlain mentionne qu'il se fait de nombreuses connaissances en Espagne et qu'il les entretient. Mais comment arrive-t-il à convaincre les autorités espagnoles de prendre part à l'expédition aux Indes occidentales ? C'est à partir de ce moment que son récit est douteux et souvent incohérent. Son objectif est clair; il désire s'enquérir : "des particularités qui n'ont pu être reconnues par aucuns Français, à cause qu'ils n'ont nul accès libre, pour à mon retour en faire rapport au vrai (à) Sa Majesté". Ceci signifie que Champlain prend tous les moyens à sa disposition pour arriver à ce but. Si l'oncle Provençal choisit l'offre de l'Amiral Don Pedro Zubiaur(r)e, c'est ou bien qu'elle est pécuniairement avantageuse ou qu'elle a plus de chance de se réaliser dans l'immédiat que l'expédition de l'Amiral Francisco Coloma. Quoi qu'il en soit, si le capitaine Provençal consent au nolisement du Saint-Julien à l'Amiral Don Pedro Zubiaur(r)e, il doit avoir la permission expresse de son propriétaire le sieur de la Hautière. Or ces tractations doivent être négociées surtout lorsque l'on sait qu'à l'époque les tarifs d'assurance des vaisseaux s'élevaient à la somme de 35% du coût de l'expédition. Le sieur de la Hautière et les Espagnols sont des amis de longue date et sous l'influence des rois très catholiques d'Espagne les catholiques fanatiques de son espèce étaient fort considérés. Alors le capitaine Provençal n'a qu'à faire pression pour que Champlain fasse partie de l'expédition, cette condition étant une des clauses du contrat. Il peut être admis comme voyageur clandestin, comme marin ou encore comme garantie et témoin des diverses conditions de l'entente relative au nolisement. Les Espagnols n'étant pas à court de bons marins, il est quasi certain que Champlain n'a pas fait ce métier durant le voyage. Comme le capitaine Provençal semble être un personnage assez important et influent dans le milieu de la marine tant en France, dans les Pays basques qu'en Espagne étant donné la notoriété de son patron le sieur de la Hautière et de son estime chez les grands d'Espagne, il n'y pas de raison pour que Champlain voyage clandestinement en dernière classe comme un réfugié politique ou un prisonnier. Il est assez facile d'admettre qu'il a un poste officiel à bord du Saint-Julien lors de la traversée. Il est en quelque sorte inspecteur et représentant du propriétaire et du capitaine ordinairement en commande du bâtiment.

La flottille/armada espagnole, généralement constituée de dix à douze gros voiliers et d'un certain nombre de pataches (canonnières), se dirige d'abord vers îles Canaries, propriété espagnole, où la flotte fait escale six jours après son départ pour un peu de ravitaillement, et dont Champlain nous laisse une carte assez grossière, puis vers le sud-ouest jusqu'au 16 ème parallèle nord, et ensuite directement à l'ouest jusqu'aux Amériques. Champlain ne signale aucun incident particulier durant la traversée, A t-il pu observer les évènements ou était-il reclus dans une certaine clandestinité ? Mystère ! Quelque 66 jours après le départ de San Lucar de Barrameda, soit vers le 10 avril 1599, la flottille se trouve en face de l'îlot inhabité La Deserada situé à l'est de Garda Louppe (La Guadeloupe) et il établit une cartographie sommaire (et en relief) des deux îles. La flotte fait escale à Garda Louppe pour s'approvisionner en eau douce, fruits frais et petits gibiers. C'est sur cette île que Champlain voit pour la première fois en chair et en os ses premiers "sauvages", une bande d'environ 300 indigènes. Trois jours plus tard, la flotte passe au niveau des îles montagneuses, rocheuses et inhabitées des Îles Vierges (Virgin Islands) dont il fait un croquis. Des Virginies (ou Îles Vierges), Champlain écrit que la flotte se rend à La Margarita (île de la Maguerite) dont il présente une carte fictive (sans l'indication de latitude comme sur toutes ses autres cartes) et où il décrit la pêche des perles (aquarelle de Champlain) par les esclaves noirs. Cet itinéraire est peut-être faux; les navigateurs espagnols l'empruntent rarement, toutefois il est exact que les capitaines envoient souvent de plus petits bateaux de cet endroit en direction de la Isla Margarita por y chercher des perles. Ou bien Champlain ment ou bien il est déboussolé ou encore il rapporte ce qu'il a ouï-dire des marins mais il ne s'y est définitivement pas allé, du moins pas à ce moment-là, ce qui n'exclut pas qu'il s'y soit rendu plus tard avant sa visite de Cuba. La Isla Margarita se situe sur la côte du Venezuela à 850 kilomètres au sud de Virgin Islands, ce qui représenterait un voyage de 1700 kilomètres en voilier en moins de deux ou trois jours, un exploit définitivement impossible. De deux choses l'une; ou bien il ment encore ou il se trompe d'île. Mais il ne semble pas y avoir existé de perles à proximité de Porto Rico à l'époque. Dans ses lectures se rapportant aux expéditions aux Indes occidentales par les Espagnols, Champlain a lu quelque part la description des pêcheurs de perles. Cette scène l'a impressionné et il ne veut probablement pas laisser passer l'occasion de faire miroiter au roi Henri IV les immenses richesses des colonies espagnoles, de se mettre en valeur vis-à-vis du Roi et d'obtenir des faveurs. C'est en ce sens qu'on peut dire que Champlain est opportuniste ! Il est par ailleurs fort possible que Champlain se soit rendu à l'île Margarita, mais plus tard au cours de son voyage en Amérique centrale et que cette erreur soit due à un blanc de mémoire lorsqu'il rédige le Brief Discours deux ou trois ans plus tard. De La Margarita (sous-entendre une île située quelque part entre Virgin Islands et Porto Rico), la flotte se rend à Porto-Rico où elle jette l'ancre à la ville de San Juan. Champlain écrit que la ville est déserte, les maisons incendiées, que ses habitants ont été faits prisonniers par les Anglais en juin 1598 ou se sont cachés dans les montagnes avoisinantes à l'exception de trois ou quatre personnes et d'un certain nombre d'esclaves noirs, et enfin que les Anglais ont quitté San Juan deux semaines auparavant, c'est-à-dire vers le début d'avril 1599.

Or, nous savons de sources sures tant dans les archives anglaises qu'espagnoles qu'il n'y a pas eu beaucoup de casse ni de morts et que les Anglais ont abandonné San Juan le 23 novembre 1598 (environ quatre mois auparavant) surtout à cause d'une épidémie de dysenterie et de fièvre jaune qui était en train de décimer les occupants. De toute évidence, Champlain est mal informé; il ne doit pas bien comprendre l'Espagnol et ses observations sont inexactes. Champlain esquisse une carte en relief de Porto-Rico lors de cette escale. La flotte reste à l'ancre du milieu avril au milieu mai 1599 et Champlain qui a un vif intérêt pour les sciences naturelles, en l'occurrence la flore et la faune tropicales, et pour les ressources naturelles et la population indigène en profite pour exécuter les esquisses de ses dessins coloriés d'arbres (figuier sombra ?, encore mal identifié aujourd'hui), de plantes (coraçon), d'animaux (perroquet, caméléon); ces dessins constituent avec la description détaillée de la ville de Mexico que nous lirons par la suite les éléments les plus importants du Brief Discours.

Jusque là, le capitaine général en charge de la flotte l'a maintenue toute ensemble pour fin sécuritaire contre les tempêtes et surtout les pirates. À Porto Rico l'Amiral Francisco Coloma divise la flotte en deux: les quatre plus gros vaisseaux se rendront sur la côte nord de l'Amérique du Sud, trois autres à Portobelo pour Panamá et le Pérou et enfin trois galions au Mexique. Vers le troisième semaine de mai 1599, Champlain embarque sur un des galions allant au Mexique qui sont entourés de quatre pataches. Ce convoi longe la côte nord de San Domingo (Saint Dominque/Haïti), à proximité du premier établissement "La Isabela" fondé par Cristobál Colón, soit à Santo Domingo (Hispaniola) qui a été assiégé le 9 janvier 1586 par le navigateur anglais, Sir Francis Drake, puis repris par les Espagnols, et il y fait escale. Champlain dessine des cartes des ports de Puerto Plata, la baie de Manzanillo (Mancenille), Port-aux-Mousquittes, Monte Cristo, Cap Saint-Nicolas. Il fait aussi un croquis de l'île de San Domingo (Saint-Domingue/Haïti), de la ville délabrée où ont vécu Alcazar, Diego Colón et Hernando Cortés, et des montagnes où se trouvent des mines de cuivre. Passé San Domingo, la flottille est attaquée à la baie Saint-Nicolas par des pirates et contrebandiers anglais, français et hollandais qui prennent la relève sur l'île Tortuga à proximité de Haïti. Champlain admire la ténacité et la dextérité de ces corsaires avec leurs petits bateaux et déplore le manque de courage des Espagnols qui sont pourtant si bien équipés; voilà un autre trait du caractère de Champlain.

Après cette escarmouche, l'escadron entre dans le passage Windward et longe en direction ouest la côte sud de Cuba. Galions et pataches font un arrêt aux îles Caïman (Cayman Islands) desquelles Champlain s'empresse de faire une carte sommaire ainsi qu'un dessin des animaux sauvages (oiseaux marins, lièvres et lézards) qu'il observe. Il note aussi pour son compte-rendu au Roi qu'il s'y trouve plusieurs sites favorables à l'installation d'un port de mer. En route vers la banquise du Yucatan en Nouvelle-Espagne (Mexique), la flotte croise les petites îles de la Sonde dont il fait une cartographie très schématique. Puis environ deux ou trois jours plus tard, la flottille s'arrête au port de Bouteron sur la péninsule du Yucatan où une des pataches coule à pic subitement; soldats et marins se retrouvent à l'eau à une bonne distance du galion qui le transporte et qui vient à leur secours. La flottille traverse le Golfe de Campèche et jette l'ancre au port de Vera Cruz (dénommée Lavelle Croux par Champlain qui s'y perd autant en Espagnol qu'en Latin). Ici se termine la voyage vers le milieu de juin 1599. Champlain dresse des cartes assez rudimentaires du Bouteron (Campèche ?) et San Juan de Ulúa (port de Vera Cruz). Il décrit les rivières, ruisseaux limpides, les belles forêts sub-tropicales, la fertilité des sols, les champs de maïs et la récolte bi-annuelle, et il ajoute que si le roi d'Espagne le permettait, les vignes fructifieraient tout autant que le maïs.

Deux semaines plus tard, Champlain obtient de son commandant la permission de visiter la ville de Mexico où il se rend vers la première semaine de juillet 1599. Il y séjourne environ un mois jusqu'à la première semaine d'août puis revient à Vera Cruz. La description de la ville de Mexico, de ses environs, des ressources naturelles renouvelables et non-renouvelables, de la faune et de la flore, de l'agriculture (champs et élevage de bestiaux), du commerce, de l'industrie, de l'urbanisation (temples splendides, palaces, maisons richement décorées, magasins et boutiques regorgeant de marchandises exotiques) et de la colonisation des habitants (indigènes et colons espagnols), de la planification des avenues, rues et utilités, des us et coutumes, des traditions, des religions (indigène et catholique), des méfaits de l'Inquisition (et de leurs illustrations) représentent un trésor d'information pour l'époque et il vaut la peine de s'y attarder. Il nous informe qu'environ 15 000 colons espagnols, quelques 90 000 indigènes christianisés et un grand nombre d'esclaves noirs habitent la superbe ville de Mexico. Il est intéressant de noter que la ville de Tenochtitlan, qui prend le nom de Mexico en 1522, dont la population s'élève déjà à plus de 100 000 habitants dont 200 colons espagnols en 1532, devient le siège de la vice-royauté en 1535. Mexico devient une cité episcopale en 1546 et une ville universitaire en 1551. À partir de 1571, y siège un tribunal de l'Inquisition. Champlain dessine 37 excellents croquis (plus d'un par jour) à Mexico City et dans les environs. L'un d'eux est un plan assez détaillé de la ville en forme de cuvette et du lac (lac de Mexique [Texcoco]) qui entoure encore la ville en 1600 et un autre des mines d'argent (exploitation et extraction) des environs de Mexico. Les autres dessins reflètent son envoûtement personnel pour ce qu'il conviendrait d'appeler aujourd'hui les sciences naturelles et en particulier la biologie animale et la botanque ainsi que la foresterie; On peut en juger par les images: neuf croquis d'arbres (arbre à canima, goyave, palmiste (variété de palmier), cassave (arbre à cacao), bananier, noisetier du Brésil, cocotier, ébénier), huit dessins de plantes, fruits et légumes (cochenille, cactus opuntia, noix de coco, avogada (avocats), ciroles (prunes), pomme-poire, maïs, cassave, copal, patate) et 12 autres dessins d'animaux sauvages (serpent à sonnette, iguane, "dragon", caïman, tortue, cerf, sanglier, biche, chevreuil, lama, jaguar, tigre, loup-cervier, léopard, civette, perroquet et oiseau du paradis), et des insectes tels que les mouches à feu (lucioles), maringouins, mouches noires, mouches à chevreuil. Tous ces plantes et animaux sauvages, sauf le dragon, se retrouvent encore aujourd'hui au Mexique et en Mésoamérique.

Ses quatre dernières illustrations à caractère religieux m'apparaissent peut-être les plus instructives et sans doute les plus émouvantes et révoltantes. La première (le culte à la lune) évoque un des rites religieux incasiques (et des Mayas) les plus évocateurs et révélateurs des Indes occidentales de l'époque; on peut évoquer ici la Puerta de la Luna et Puerta del Sol au site archéologique de Tiwanaku en Bolivie à titre d'exemple classique. Les trois dernières sont moins poétiques: elles montrent une scène peu reluisante de l'état misérable des esclaves amérindiens au service du propriétaire d'une hacienda coloniale et deux scènes épouvantables de l'Inquisition espagnole chez les indigènes. Ici, Champlain retrouve la politique du "Crois ou Meurs" pratiquée par la Sainte Ligue aux huguenots durant son enfance et son adolescence et ces scènes lui rappellent les horreurs, tortures et misères de cette époque en France. En homme tolérant, prudent et raisonnable qu'il sait être en de telles circonstances, il nous fait part de son dégoût et mépris des autorités religieuses et civiles espagnoles de l'époque. Il observe et prend note que les haines attisées par l'ambition commerciale que la présumée foi chrétienne essaie de dissimuler hypocritement sont à la base même de la destruction d'une civilisation différente et étrangère. Champlain ajoute: "J'ai de la pitié pour ces Amérindiens opprimés"; il décrit de quelles manières l'Inquisition espagnole les a mis à la torture, comment ils s'enfuient dans les montagnes pour échapper aux administrateurs et aux missionnaires espagnols, la méthode employée par les prêtres catholiques pour les forcer d'assister à la messe, les approches punitives pour châtier les absents, et autres coercitions du genre. Même s'il est impressionné par l'importance qu'accordent les autorités catholiques à la conversion des indigènes au christianisme, il conclut, en homme déjà habitué aux compromis à l'exemple de son Roi, qu'il est insensé d'user de force et de violence en telles circonstances. Il fait cette remarque très juste, mais combien mal comprise à son époque, que : "La Religion imposée par la crainte et la force n'est pas une religion".

À propos des différentes attitudes colonisatrices des Européens du temps, l'historien américain Francis Parkman fait la remarque suivante: "La civilisation espagnole a anéanti les indigènes, la civilisation anglaise les a méprisés et s'en est désintéressée et la civilisation française les a reçus à bras ouverts et les a aimés". En rétrospective, je suis en désaccord partiel avec cette affirmation; les faits historiques prouvent souvent le contraire. En ce début de XXI ème siècle, une poignée d'Amérindiens seulement a survécu aux guerres et maladies du vieux continent apportées par les Anglais, les Français et les Hollandais. En Amérique du Sud où les colonies sont majoritairement espagnoles, plus particulièrement en Bolivie, en Colombie, en Équateur, au Pérou et au Chili, la gent amérindienne andine représente de nos jours 45 à 55 % de la population totale et même si elle vit pauvrement des produits d'une agriculture plus médiévale que moderne, elle n'est pas confinée dans des réserves ou ghettos comme c'est le cas au Canada et aux États-Unis. Tant chez les Anglais, les Espagnols ou les Français, il y a eu des amis et des ennemis des Amérindiens. Champlain a été l'ami des tribus algonquines et huronnes (Wendats) et par le fait même l'ennemi juré des Iroquois. Les colonisateurs hollandais et anglais se sont alliés aux tribus iroquoises pour la même raison, conserver le monopole du commerce des fourrures et de la pêche côtière. Il y a eu des explorateurs et des colonisateurs plus humains, compréhensifs et respectueux des Amérindiens que d'autres, et ce chez les Anglais, les Espagnols et les Français; Champlain fait certainement partie de ce groupuscule. Par contre, il importe de réaliser que son prédécesseur, Jacques Cartier, qui a découvert la Nouvelle-France, a aussi exterminé presque tous les Béothuks de l'île de Terre-Neuve.

Voilà un autre trait du caractère de Champlain; celui du colonisateur, fondateur et organisateur. Son observation critique et sans préjugés (neutre) des qualités et des défauts de la colonisation espagnole est sans aucun doute à la base de la conception et de l'élaboration relatives à son approche et sa politique de développement en Nouvelle-France dans les quatre ans qui suivront cette visite à Mexico City. Il faut bien admettre (c'est l'évidence même !) que les Espagnols aux Amériques et les Portugais en Asie du sud-est sont les seuls à cette époque à avoir une politique et une gouverne coloniale (critiquable ou non). Les Anglais et les Hollandais arrivent un peu plus tard tant aux Amériques qu'en Asie. Les leçons que Champlain tire de cette visite en Nouvelle-Espagne ont une influence énorme sur le type de colonialisme qu'il va instituer en Nouvelle-France; c'est au cours de ce premier voyage aux Indes occidentales que Champlain a initié l'élaboration de la politique coloniale française en Nouvelle-France et n'eut été sa réalisation, il est fort probable que la Nouvelle-France telle que nous la connaissons aujourd'hui n'aurait pas existé. On ne peut donc qu'insister sur l'importance que représentait ce voyage pour Champlain. Ce premier voyage aux Amériques a aussi été le plus important de tous car c'est grâce à son récit qu'il arrive à convaincre le roi Henri IV, la Cour, les conseillers royaux, les puissants seigneurs, les intendants du Roi, les marchands, les notables et des colons à fonder une colonie française en Amérique du Nord en s'appuyant sur un modèle espagnol modifié et sous certains aspects bonifié et surtout modernisé.

Après son séjour très fructueux à Mexico City, Champlain retourne à San Juan de Ulúa et quelques jours plus tard se rend à Portobelo situé sur l'isthme de Panamá, décrit le port de mer insalubre et malpropre, prend note, en tant que serviteur fidèle du roi de France, qu'il se trouve un endroit favorable à proximité du port pour accoster les bateaux, site privilégié pour un ennemi du roi d'Espagne (à bon entendeur, salut !) qui désire contrôler le commerce sur la côte ouest du continent. Champlain exécute un plan de la ville de Portobelo, ville complètement désorganisée à l'opposé de celle de Mexico. Après avoir traversé l'isthme de Panamá et contemplé l'océan Pacifique de l'autre côté de laquelle se trouve la Chine (le Cathay) et les Indes orientales, il propose la construction d'un canal qui éviterait le grand détour par le détroit de Magellan au sud du Chili ou par le Cap de Bonne-Espérance au pied du continent africain. L'idée n'est pas neuve. L'empereur Charles Quint a, dès 1534, proposé une commission d'étude sur cet éventuel canal et l'écrivain portugais, Antonio Galvao, a publié en 1550 un livre servant à démontrer la faisabilité d'un tel canal. Champlain note aussi avec justesse que tout l'or en provenance des colonies des Indes occidentales (surtout du Pérou) transite par Panamá; cette observation est corroborée par les vieux guides du Museo del Oro à Potosi en Bolivie.

De Portobelo, Champlain retourner à San Juan de Ulúa vers le milieu de septembre 1599. La flotte est alors reconstituée; le Saint-Julien qui en fait partie est commandé par Bartolomé Lopés et elle fait voile vers La Habana (La Havane), Cuba, lieu de rendez-vous de tous les bateaux espagnols dans les Antilles, où elle arrive une semaine plus tard. La flottille y séjourne environ quatre mois et Champlain décrit le port de La Habana comme étant un des plus beaux qu'il a vu aux Indes occidentales. A Cuba, il trace le plan et fait la description de deux villes fortifies (El Moro [le Maure]) du côté est de l'île et le Fort Neuf du côté ouest. En 1600, ces descriptions sont bien exactes. Champlain prend alors congé pendant deux mois et demi et se rend à Cartagena de Indias en Colombie mais il est plutôt avare de descriptions. Il mentionne seulement que le roi d'Espagne y garde en permanence deux vaisseaux, que la ville est bien organisée et que les forêts tropicales et les montagnes environnantes sont superbes. Champlain fait cependant remarquer que ''le dit pays (Colombie) appelé terre ferme (continent d'Amérique du Sud) est très bon, que les terres sont fertiles en maïs, fruits et autres choses, mais en moindre abondance qu'en Nouvelle-Espagne, par contre on y trouve beaucoup (de gites) d'argent''. À Cartagena de Indias, Champlain ne parle pas ni ne dessine un plan de la ville fondée en 1533 comme il l'a fait à San Juan de Porto Rico, San Juan de Ulúa, Vera Cruz ou Mexico, mais il s'attarde à la description du fort, du port de mer et de trois îles (Getsemani, Margo et Santa Cruz) à son entrée et auxquelles il ne donne pas de nom. Toujours au Museo del Oro de Potosi, en Bolivie, et d'après l'information verbale transmise de génération en génération, Champlain aurait visité avec le petit-fils de Francisco ou Hernando Pizarro qu'il a rencontré en Colombie, la plus grande mine d'argent au monde, Cerro Rico de Potosi. Peu de temps après le retour de Champlain à Cuba, soit vers le milieu de janvier 1600, la flottille met les voiles en direction de l'Espagne suivant la trajectoire habituelle, soit à travers le détroit de Floride, le chenal des Bahamas, puis le long des côtes de la Floride à la hauteur de Miami et de West Palm Beach. Toujours d'après le récit de Champlain, la flotte aurait jeté l'ancre en Floride où elle réside quelques mois.

À propos de la colonie espagnole en Floride, Champlain écrit que c'est une des plus belles régions que l'on puisse désirer. Les basses terres y sont fertiles mais ne sont pas cultivées, le roi d'Espagne ne s'y intéresse pas parce qu'il ne s'y trouve ni mines d'or ni d'argent. Les sauvages (indigènes) les habitent en grand nombre et font la guerre aux Espagnols qui ont bâti un fort à l'endroit où se situe un bon port de mer (Miami ?). Tout comme bon nombre de vacanciers en hiver (car c'est alors la saison d'hiver), Champlain rêve d'y revenir et il fera plusieurs essais infructueux en longeant la côte Atlantique à partir de l'Acadie dans ce but. Ironie du sort, plusieurs descendants de ces premiers colons acadiens seront déportés plus tard dans cet État américain et son voisin, la Louisiane. En admettant que la flotte ait passé le même intervalle de temps en Floride qu'à La Habana, elle se serait remise en marche vers l'Espagne au milieu de juin 1600. Après être passée près des îles Bahamas au nord de celles-ci, elle file en direction nord est jusqu'au 38 ème parallèle nord, la latitude des Açores et de là directement vers Séville sans mésaventures et sans perdre de bateaux. Comme cette traversée prend généralement deux mois, Champlain serait rentré en Espagne vers le milieu d'août 1600. Champlain dit qu'il est rentré en mars ou avril 1601. D'après les documents de la marine espagnole de l'époque, aucun retour des Indes occidentales n'a eu lieu à cette date. Les seules dates possibles sont le 11 août 1600 ainsi que les 4 janvier et 26 septembre 1601. La flotte qui est arrivée en Espagne le 4 janvier a connu toutes sortes de difficultés et d'ennuis dont Champlain ne fait aucune mention et il ne peut pas être à bord du Saint-Julien lors de la rentrée du 26 septembre 1601 car il se trouve déjà à Cadix le 2 juillet 1601. C'est en ce jour qu'il (Samuel Zamplen) reçoit par acte notarié et d'après le testament de son oncle Guillermo Eleno (Guillaume Ellène), né à Marseilles et ayant domicile à Cadix, un legs de la "Hacienda Real del Rey Nuestro Senor" en banlieue de la ville de La Rochelle, acte consigné dans l' "Archivo Historico Provincial de Cadix". Il ne reste donc que la date de retour possible du 11 août 1600. Ainsi, le premier voyage de Champlain n'a duré qu'un an et demi et non deux ans et deux mois comme Champlain l'écrit. Champlain nous a-t-il conté un autre mensonge, a t-il une mauvaise mémoire ou s'est-il trompé dans ses dates en écrivant le Brief Discours ?

Qu'a fait et où était Champlain entre le 11 août 1600 et le 2 juillet 1601 ? Est-il resté en Espagne et surtout à Cadix avec son oncle qui est alors très malade et mourra quelques mois plus tard en 1601 ou bien est-il retourné en France ? Il est plus que probable qu'il est resté en Espagne car le testament de l'oncle Provençal spécifie que son neveu a fait un très bon travail pour lui et en a eu soin durant sa maladie. Ce testament notarié annule un testament rédigé à Quiripercorant en Bretagne il y a quatre ans en faveur de sa première épouse (le couple n'aurait eu qu'un seul enfant qui est decédé depuis), Guillemette Gousse, même s'il s'est remarié avec la sœur de la mère de Champlain, décédée entre-temps. Autre mystère de ce personnage énigmatique qu'est Champlain; il semble que le Brief Discours ait été rédigé en fin de l'an 1602 et au début de 1603, soit près de deux ans et demi après son retour de ce premier voyage en Amérique. Pourquoi ? Ceci peut s'expliquer du fait que son oncle Provençal est décédé vers la fin de 1601. Champlain veille à ses bons soins et s'occupe de ses affaires. Lors du décès de l'oncle, il doit voir aux funérailles, à l'enterrement, avertir et convoquer parents et amis, liquider multiples affaires de l'oncle qui, en plus d'avoir été successivement marin, corsaire et capitaine, s'est immiscé dans le monde des affaires. En plus du terrain, des vignobles, d'un verger, des maisons, entrepôts, hangars et granges de l'Hacienda (très grande propriété de style colonial) en banlieue de La Rochelle, des revenus et fonds divers ainsi que d'une somme équivalente à 500 salaires, Champlain acquiert aussi des montants d'argent par ce legs. Comme il n'est pas encore du tout familier avec le monde des affaires, en homme prudent et avisé il consulte au début de 1602 notaires, avocats et amis sûrs qui ont de l'expérience dans le domaine. Testament et lettres patentes en main, il se rend ensuite à San Sebastián dans le Pays basque où il récupère des montants d'argent et autres biens laissés aux bons soins des senoras Ojelde Zolan Viscayno et Maria Augustin, ses hôtesses (ou ses maîtresses, on ne sait pas au juste).

Vers le milieu de 1602, il rentre en France, se rend à Brouage puis à La Rochelle où il prend possession de l'Hacienda et y effectue un inventaire complet qui l'occupe jusqu'à fin de 1602. Il fait connaissance de ses voisins les sires de La Charne (La Zarna) et Desuse et des notables de la ville. Il est maintenant devenu, grâce au legs de l'oncle Provençal, un personnage fortuné et donc important au vu et su des habitants de ce bastion de marchands et commerçants huguenots. Il se rend à Dieppe et fait ample connaissance avec le sieur Aymar de Chaste(s) qui est le Gouverneur de la ville et de surcroît vice-roi de la Nouvelle-France. Champlain qui ne manque pas d'opportunisme et s'efforce d'établir des relations avec des gens influents et puissants y trouve une belle occasion de se rendre aux Indes occidentales une autre fois. Il a maintenant à son crédit une expérience militaire, de marinier, il est un des rares Français à s'être rendu dans les colonies espagnoles et de plus il est fortuné. Bien que ne faisant pas encore partie de la noblesse, il est considéré comme un nouveau riche ! Quoi de mieux pour impressionner et convaincre son futur commandant et son Roi de son expérience pertinente de navigateur et de l'envoyer explorer les Indes occidentales que d'écrire le récit de son voyage de 1599-1600 avec la flotte espagnole ? Suivant les conseils de Aymar de Chaste(s) avec qui il s'est lié d'amitié, il commence cette rédaction dans sa nouvelle résidence à La Rochelle vers la fin de l'année 1602 ou au tout début de 1603.

On sait que contrairement aux carnets de voyage ultérieurs de Champlain en Nouvelle-France, le Brief Discours achevé vers le milieu de 1603 n'a jamais été publié. En plus des deux manuscrits originaux envoyés au roi Henri IV dont un de ceux-ci a été expédié par le Roi au vice-roi de la Nouvelle-France et un autre conservé à la Cour et disparu depuis, il existe trois autres copies (incomplètes). Une copie du manuscrit envoyé à Aymar de Chaste(s) a été retrouvé à Dieppe au XIX ème siècle seulement (en 1855) et les deux autres copies dont on connaît l'existence bien avant le document retrouvé à Dieppe se trouvent en Italie, une à la bibliothèque de Bologne (datant du XVII ème siècle) et une autre à Turin (Archivo di Stato, du XVIII ème siècle). En 1953, Louis-André Vigneras a découvert qu'aucun de ces manuscrits n'est l'original, chacun différant légèrement dans son contenu, et que les copies de Dieppe (maintenant à Providence, Rhode Island) et de Bologne semblent être les plus authentiques. Dans son Brief Discours, le but initial de Champlain est de communiquer au roi de France les résultats de son voyage, agissant ainsi comme un espion des colonies espagnoles au service de la France. À ceci d'ajoute l'idée de se constituer un Curriculum Vitae et, comme les explorations de l'époque peuvent être considérées l'équivalent des recherches scientifiques modernes, d'écrire une thèse (de maîtrise ou de doctorat) même si elle n'est pas publiée et reste fréquemment sur les tablettes. Champlain se crée ainsi un capital personnel, une certaine renommée et surtout force une porte d'entrée à la Cour et chez les hautes instances politiques du royaume. Du point de vue littéraire, son écrit a peu de valeur; l'ouvrage n'est pas structuré et manque d'éclat, le style est lourd et souvent ennuyeux, les descriptions plutôt vagues, les dates imprécises et les anachronismes nombreux, le passage concernant la ville de Mexico excepté. Peut-être Champlain fait-il partie de cette race de gens qui ne décrivent bien que ce qui les intéresse ou les émerveille ! Quant aux cartes, elles n'ont guère de valeur non plus; elles sont trop générales, manquent de détails et sont souvent franchement fausses comme c'est le cas à Portobelo au Panamá ou pour l'île Margarita (Isla de Margarita) située sur les côtes du Venezuela et que Champlain place quelque part entre les îles Vierges et de la Sonde et Panamá. Cette observation est surprenante considérant les excellentes connaissances de Champlain en matière de géographie et de topographie et l'importance qu'il attachera aux détails lors de ces explorations en Nouvelle-France. Quoiqu'il en soit, il existait à l'époque de bien meilleures cartes des régions visitées produites par les navigateurs anglais, espagnols et portugais que celles élaborées par Champlain Les figures coloriées (aquarelles) sont attrayantes, instructives bien qu'imprégnées de naïveté, souvent disproportionnées (surréalistes des temps modernes), voire élégantes et merveilleuses (à la manière de Walt Disney). Les couleurs pures et contrastantes de ses illustrations sont d'une rare beauté, voire superbes, ce qui confirme ses talents artistiques (de dessinateur et de peintre) et démontre au moins un certain niveau d'éducation artistique. En fait, personne ne met en doute les voyages de Champlain en Acadie, en Nouvelle-France occidentale et en Nouvelle-Angleterre, et pourtant ses croquis de plantes et d'animaux sauvages dessinés en Amérique du Nord ne sont pas plus précis que ceux des régions tropicales en 1599-1600. Ceci démontre que les dessins du Brief Discours ont été exécutés par lui-même, mais que le texte est vraisemblablement l'oeuvre d'un copiste. À partir de ses esquisses de plantes et de fruits antillais et mexicains, Champlain a peint de mémoire et d'une mémoire très fidèle, soit à Brouage soit à La Rochelle, les illustrations en couleur du Brief Discours.

Il reste à examiner le contenu du Brief Discours. Anachronismes, cartes et plans inexacts mis à part, le contenu de son texte souffre souvent d'incohérence, d'inexactitude, de contradictions, d'omissions, d'un excès d'imagination, de crédulité et de naïveté souvent déconcertantes dans les interlocutions, communications personnelles ou ouï-dires, d'un certain dédain des villes coloniales visitées sauf Mexico et d'autres lacunes. Le récit représente cependant un vif intérêt tant pour la carrière future de Champlain que pour la destinée de la future colonie française en Amérique. Même s'il a tendance à déprécier l'approche coloniale espagnole, dans son récit Champlain nous montre d'une part un esprit critique et souvent judicieux, pragmatique doublé des qualités de tolérance et de compromis, un homme foncièrement bon, honnête, juste et persévérant qui recherche constamment la vérité, méprise la vanité et les insolences, et sait s'apitoyer sur le sort des petits, des faibles et des laissés pour compte. D'autre part, il apprécie à leur juste valeur les efforts entrepris par les coloniaux espagnols pour l'industrie, le commerce, l'agriculture, l'exploitation des ressources naturelles (les pêcheries, les mines, les forêts), l'urbanisation, l'organisation des institutions civiles et religieuses, mais il désapprouve l'Inquisition et l'exploitations à outrance des indigènes. Non, Champlain ne peut être considéré comme un littéraire ou un poète ni même un peintre génial, mais il n'est pas non plus un simple artisan. Champlain est un artiste de l'ère moderne, observateur positiviste, chercheur scientifique en tant qu'explorateur, excellent dessinateur, géographe et cartographe, visionnaire, architecte, bâtisseur, innovateur, homme d'action et homme d'affaire, organisateur, administrateur, le prototype du dirigeant moderne. N'eut été cette merveilleuse expédition entreprise avec des navigateurs et explorateurs espagnols expérimentés et la possibilité de se rendre compte par lui-même des bienfaits et des méfaits de la colonisation dans ces terres lointaines, de leurs beautés et richesses, de leurs habitants et de leur mode de vie, du potentiel immense qu'elles représentent, il est quasi certain que Champlain n'aurait jamais fondé la Nouvelle-France.

Reste enfin à savoir si Champlain nous dit strictement la vérité et toute la vérité dans son Brief Discours, car il côtoie fréquemment un oncle cachottier, peu scrupuleux, ambitieux, menteur, vantard, assez souvent hors-la-loi, sans trop honneur et de principes, voleur (les corsaires de l'époque sont à l'image de nos voleurs de banque et mafiosi du XX ème siècle) susceptible d'exercer une mauvaise influence sur les mœurs de son neveu. Ces qualificatifs peu élogieux ne se décèlent pas dans sa pensée et son récit. Tout porte à penser que Champlain a eu des blancs de mémoire lors de la narration de son récit, que ses sources d'information sur place n'étaient pas toujours sûres à cause de ses difficultés de communication en Espagnol et parce qu'il n'a pas contre-vérifié ou eu le temps de vérifier la nature des informations verbales recueillies. C'est sans aucun doute pourquoi les illustrations sont plus convaincantes que le texte. Il semble cependant qu'il ait menti sur les dates de départ et de retour de l'expédition, le voyage à l'île de Margarita et sur la description de la région de Portobelo et Panamá City. L'autre alternative est qu'il a écrit une certaine partie du texte sans avoir visité ou vu de ses propres yeux les endroits ou évènements, se fiant aux descriptions de ses interlocuteurs. Champlain doit sans doute vouloir épater son futur commandant et son Roi pour pouvoir participer à un voyage outre-mer ou organiser une expédition d'explorateur. Inclure une expérience de navigation et d'exploration de plus de 26 mois (un bon record !) le favorise fortement. De même, dans ses lectures sur les explorateurs espagnols tant en Bretagne qu'à Séville ou au cours des conversations qu'il a eu avec les passagers de la flotte durant son voyage vers les Antilles, il a eu vent des fabuleuses pêches de perles sur les côtes nord du Venezuela, alors il ne peut résister à l'occasion d'insérer cette scène truquée et de dresser une esquisse imaginaire de la Isla de Margarita. Champlain est davantage un opportuniste qu'un menteur, ce qui n'excuse pas le mensonge, mais ce n'est certes pas par malice. Le mensonge relatif à la description de la région de Portobelo-Panamá City est plus subtil. S'agit-il d'une erreur de description cartographique, d'une mauvaise transcription de ses croquis lors de la composition du texte et des illustrations en banlieue de la Rochelle, d'une description empruntée ailleurs ou pour un motif opportuniste quelconque (emplacement favorable à un port de mer pour un ennemi du roi d'Espagne) ? On ne saurait l'affirmer.