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Le gouvernement a assoupli son projet de loi Internet |
by Antoine Jacob, Le Monde (13/06/2001) |
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Le Conseil des
ministres a approuvé mercredi 13 juin le texte sur la société
de l'information. "Je me souviens encore du discours de Lionel Jospin, annonçant en août 1999 que le gouvernement présenterait au parlement un projet de loi sur la société de l'information "au début de l'année 2000"...", raille le député Patrice Martin-Lalande (RPR), coprésident d'un groupe parlementaire d'études sur les technologies de l'information. Ce projet de loi est désormais fin prêt : il devait être présenté mercredi 13 juin en conseil des ministres, pour adoption. Un tel retard, indique-t-on du côté des pouvoirs publics, s'explique par l'ampleur du projet, par sa complexité et par la nouveauté des thèmes qui y sont abordés. Il s'agit d'"une nouvelle étape dans le processus d'adaptation de notre droit à la société de l'information", argue le gouvernement. Avec un "objectif essentiel": "promouvoir la confiance dans les réseaux et contribuer ainsi à la démocratisation de l'usage de l'Internet". A ce titre, le texte couvre un vaste spectre de sujets sensibles : de l'accès aux données numériques publiques à la responsabilité des hébergeurs de sites et des fournisseurs d'accès au Web ; de la publicité électronique à la lutte contre la cybercriminalité, etc. Pour rédiger ce document de 32 pages, parfois baptisé "loi Internet", les ministères concernés (industrie, justice, culture et communication, intérieur, défense et affaires étrangères) ont procédé à de nombreuses consultations, y compris du public à travers un forum en ligne. Un processus rythmé par la diffusion de versions officieuses sur certains sites : autant de fuites qui alimentèrent les craintes des partisans d'une liberté totale sur la Toile. Depuis avril, c'était au tour des autorités administratives indépendantes, telles la Commission nationale informatique et liberté (CNIL), l'Autorité de régulation des télécommunications (ART), ou le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), d'être consultées, ainsi que le Conseil d'Etat. Le document publié mercredi (www.lsi.industrie.gouv.fr) a largement tenu compte de leurs avis. Plusieurs aménagements ont été instillés, en écho à des inquiétudes ou à des souhaits de ces autorités, soucieuses de voir leurs prérogatives préservées. "L'une des difficultés était de donner son dû à chacune d'entre elles", reconnaît le secrétaire d'Etat à l'industrie, Christian Pierret, chargé de la coordination entre les différents ministères dans ce dossier. UN VIF DÉBAT INTERNE En plusieurs points, le gouvernement a rendu une copie plus souple que dans les moutures précédentes. C'est le cas notamment pour la responsabilité des prestataires techniques - hébergeurs de sites et fournisseurs d'accès. Initialement, les hébergeurs de sites devaient être considérés comme pénalement responsables du contenu mis en ligne. De nombreux acteurs et utilisateurs du Web s'étaient alors élevés contre une telle disposition. "Internet devenait l'espace le plus surveillé de tous les médias", se souvient Alexandre Lévy, de l'organisation Reporters sans frontières (RSF). Le débat interne au gouvernement sur la question a été vif, les ministères de l'intérieur et de la défense étant "montés au créneau" pour défendre une ligne sévère, confie un connaisseur du dossier sous couvert d'anonymat. Finalement, hébergeurs et fournisseurs d'accès ne seront pas, d'après le projet de loi, tenus à une "obligation générale de surveillance" des contenus véhiculés par les réseaux. Toutefois, les hébergeurs seront "susceptibles" d'engager leur responsabilité civile - et non pénale - s'ils ne retirent pas un contenu dont ils ont connaissance du "caractère manifestement illicite". Une mesure conforme à la directive européenne sur le commerce électronique, que les Quinze se doivent de transposer dans leurs législations respectives. Dans le domaine de la conservation des données relatives aux connexions Internet, destinée à faciliter le travail de la police en cas d'infractions pénales, les défenseurs de la vie privée n'avaient guère apprécié la volonté du gouvernement de faire passer la durée maximale de stockage de trois mois à un an pour certaines données. Ce délai demeure dans le projet de loi. L'avis de la CNIL, qui préconisait une durée de trois mois, est toutefois qualifié de "tout à fait judicieux" dans l'entourage de M. Pierret, où l'on laisse entendre qu'un assouplissement serait instauré ultérieurement par voie de décret. Pour la publicité en ligne, fléau en plein essor, les aménagements sont plus visibles. Non seulement y aura-t-il une "interdiction d'adresser des publicités non-sollicitées par voie électronique aux personnes inscrites sur un registre d'opposition". Mais ce souhait initial du gouvernement a été complété par deux autres dispositions, réclamées notamment par la CNIL. D'une part, tout e-mail contenant une publicité devra être identifié comme tel dès son titre ; d'autre part, les entreprises envoyant de tels messages non-sollicités devront, dans ceux-ci, "proposer" l'inscription sur le registre d'opposition. D'aucuns, telle l'association IRIS (Imaginons un réseau Internet solidaire), estiment néanmoins qu'il faudrait demander expressément aux internautes s'ils veulent figurer sur les fichiers publicitaires. PAS AVANT 2002 Pour conclure un contrat par voie électronique, le cyberconsommateur devra opérer une double transaction ("double clic"), afin de s'assurer qu'il est réellement partant. Autre disposition intéressant directement le public, la possibilité de bénéficier d'un droit de réponse. Toute personne "nommée ou désignée dans un service de communication publique en ligne" pourra présenter une telle demande. Et ce, "au plus tard dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle a cessé la mise à disposition du public du message contenant la mise en cause qui fonde cette demande", stipule le texte. Cette disposition n'est pas calquée sur le droit de la presse, qui prévoit un droit de réponse dans les trois mois après la première publication. Par ailleurs, dans un souci de "conserver la mémoire" du "mode d'expression majeur de notre société" qu'est devenu Internet, le projet de loi prévoit un dépôt légal des services de communication en ligne. Le projet de loi sur la société de l'information (LSI) fait aussi la part belle à la lutte contre la cybercriminalité. L'usage du cryptage, destiné à protéger l'échange de données en ligne, est libéralisé. "Le texte encadre très sérieusement ce processus", déplore toutefois M. Lévy, de RSF. L'examen, en première lecture, du texte par l'Assemblée nationale n'aura pas lieu avant le début de 2002, pronostique M. Pierret. Ce qui repousserait son adoption finale à la fin de l'année prochaine, voire au début 2003, estime Patrick Bloch, le député (PS) qui pourrait devenir rapporteur du projet de loi. M. Martin-Lalande (RPR) indique qu'"on peut être d'accord, au-delà des clivages politiques, sur le fond sur un certain nombre de propositions qu'elle contient". Auteur d'un amendement sur la responsabilité des prestataires techniques à la loi sur la liberté de la communication du 1er août 2000, M. Bloche anticipe des débats parlementaires plutôt intenses, en dépit du caractère technique du texte. |
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