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| Démocratie et libertés sur Internet : le piège en trois volets |
| by Meryem Marzouki, IRIS (13/12/2001) |
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| À peine
trois mois après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis,
des mesures attentatoires aux droits fondamentaux et aux libertés
des citoyens se mettent en place durablement. Prévues ou en cours
d'élaboration de longue date pour certaines, ces dispositions législatives
ont pu être adoptées dans l'urgence et sans débat public,
au prétexte de la lutte contre le terrorisme. Concernant l'usage
du réseau Internet en particulier, toutes ces mesures répressives
viennent ainsi s'articuler pour former un piège en trois volets limitant
les droits et libertés des citoyens aux niveaux national, européen
et international.
Volet national La France n'est cependant pas le seul pays concerné. D'autres pays de l'Union européenne adoptent, dans le même temps, des dispositions tout aussi liberticides. Par ailleurs, les États-Unis, dont le Sénat a voté le surlendemain des attentats les pleins pouvoirs au FBI pour une surveillance généralisée des communications électroniques, ont récemment voté des lois exceptionnellement liberticides, notamment concernant l'usage d'Internet. Volet européen La deuxième proposition, qui fait l'objet de la communication 522, veut instaurer un mandat d'arrêt européen, en supprimant le principe de la double incrimination et l'exception en faveur des nationaux (non extradables jusqu'ici). Elle concerne toute infraction faisant l'objet d'une condamnation définitive de quatre mois minimum de prison ou passible d'une peine d'emprisonnement supérieure à un an dans l'État d'émission du mandat, même si l'acte ne constitue pas une infraction, ou est passible d'un niveau inférieur de sanction, dans l'État d'exécution du mandat (puisque la double incrimination ne serait plus nécessaire). Plutôt rares ont été les voix osant contester ces mesures, tant il est vrai que le climat actuel dans le monde - appel à une « justice sans limite » transformée en « liberté immuable » sans rien perdre de son arrogance et de son mépris de ceux qui penseraient autrement la justice et la liberté, quand ils ne sont pas considérés, de ce simple fait, comme les alliés des terroristes - ne s'y prête guère. Cependant, les résultats du Conseil JAI des 6 et 7 décembre 2001 montrent que cette contestation a amené de sensibles révisions des propositions de la CE. Le Conseil a ainsi modifié explicitement la définition des infractions terroristes, afin de garantir l'exercice des activités syndicales et des manifestations comme celles organisées contre la mondialisation libérale. Par ailleurs, la mise en place du mandat d'arrêt européen a été ajournée lors du même Conseil, l'Italie s'opposant à ce que les délits financiers figurent dans la liste des 32 infractions pouvant donner lieu à la suppression de nécessité de double incrimination (pour autant que ces infractions soient punies au maximum d'au moins trois ans de prison), selon la proposition de la présidence belge. Ces questions seront donc remises à l'ordre du jour du prochain sommet des chefs d'État de l'UE, les 14 et 15 décembre à Laeken. Volet International La Convention supprime le principe de double incrimination, tout comme l'implique l'instauration du mandat d'arrêt européen. Certes, cette suppression n'intervient que lorsqu'un « cybercrime » est soupçonné. Mais le « cybercrime » est largement défini : il comprend non seulement les infractions contre la confidentialité, l'intégrité et la disponibilité des données et systèmes informatiques (titre 1) et les infractions informatiques (titre 2), mais aussi les infractions liées à la pédophilie (titre 3) et les infractions liées aux atteintes à la propriété intellectuelle et aux droits connexes (titre 4), lorsque les contenus auxquelles elles se rapportent sont produits, diffusés, transmis, acquis ou possédés par le biais d'un système informatique. Les deux premiers titres correspondent à une définition du « cybercrime ». Le troisième pose déjà problème : la pédophilie serait-elle moins grave lorsqu'un système informatique ou électronique n'est pas utilisé ? On n'ose le croire. C'est pourtant, semble-t-il, l'avis des rédacteurs du projet qui, par ailleurs, considèrent sur le même plan l'image réelle d'un mineur, celle d'une personne qui apparaît comme un mineur, et l'image réaliste - mais non réelle - représentant un mineur. Quant au quatrième titre, qui considère l'atteinte à la propriété intellectuelle de même niveau de gravité que l'abus sexuel d'un enfant, il est à l'évidence le résultat d'un lobbying intense de la part des éditeurs de logiciel, de musique et de film, comme des éditeurs de bases de données, y compris lorsqu'ils ne sont pas les producteurs des informations qui y sont parfois simplement compilées. Le reste du projet de Convention est consacré à des modifications de la procédure pénale. L'objectif est de permettre la réalisation par les autorités compétentes d'un État, dans cet État ou dans n'importe quel autre État signataire de la Convention, soit directement soit via un mécanisme d'entraide qui ne souffre quasiment pas le refus, de la conservation rapide de données informatiques stockées et de données relatives au trafic sur les réseaux électroniques, de la perquisition et saisie de données informatiques stockées, de la collecte en temps réel de données informatiques et de l'interception de données relatives au contenu (c'est-à-dire l'interception de communications électroniques, autrement dit l'écoute électronique généralisée). Le piège Notons qu'en dehors des associations spécialisées dans la protection des droits de l'homme et des libertés sur Internet, quasiment aucune voix ne s'est élevée contre le projet de Convention du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité. Doit-on mettre cela au compte d'un « retard » dans la conscience des enjeux d'Internet par les défenseurs des droits de l'homme et des libertés ? Ces derniers perdraient-ils eux aussi toute mesure dès lors que l'apocalypse, dont ils se distancient dans les autres cas, proviendrait d'une « nébuleuse électronique » difficilement appréhendée ? Toujours est-il qu'il n'est plus supportable que ces atermoiements, voire cette indifférence, laissent les instances, nationales, européennes ou internationales, libres d'adopter des mesures législatives d'exception, au prétexte qu'elles ne concerneraient qu'une « bande de pirates ». Elles concernent tous les citoyens car elles s'étendent à toutes leurs activités, dans leur usage d'Internet et bien au-delà, comme on peut le voir désormais de façon éclatante. C'est l'État de droit qui en devient ainsi menacé. |
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