Arthur Machen

Chroniques du petit peuple. Textes choisis par Xavier Legrand-Ferronnière, Norbert Gaulard et Roger Dobson; préface de Roger Dobson, Postface de Michel Meurger; trad. Norbert Gaulard, Anne-Sylvie Homassel, Jacques Parsons. Rennes, Terre de Brumes («Terres fantastiques»), 1998, 195 p.

Arthur Machen (1863-1947) est bien sûr l'auteur de ce classique de la littérature fantastique qu'est Le Grand Dieu Pan, mais le reste de son œuvre n'est pas très connu en France. Le présent recueil est donc très utile, qui fait connaître un choix de textes parmi ceux qu'il a consacrés au «Petit peuple», à savoir les fées et les lutins. Le schéma qui préside à l'écriture de tous ces textes est fort simple: les contes et les légendes rapportés par les paysans ne sont pas des fariboles, bien que ces malheureux ne comprennent guère eux-mêmes ce qu'ils disent et transmettent, car ils se rapportent au fond à une réalité horrible, bien qu'oubliée, et qui ne demande qu'à resurgir au moment où l'on s'en attend le moins, par exemple au sein de la culture la plus policée, allant jusqu'à gangréner le cœur même de la cité.

Cette manière de voir, née au tournant des XVIIe-XVIIIe siècles, est celle dite de la «Pygmy theory», alias du «Petit Peuple», et elle eut au siècle dernier d'ardents défenseurs, de Walter Scott à David Ritchie ou, en France, de Casimir Puichaud à... Arnold Van Gennep, qui lui apporta un temps son soutien. Elle est ainsi résumé par le Professeur Gregg, folkloriste dont Machen fait le héros de sa nouvelle «Le cachet noir»:

«Telle était ma position: je voyais de bonnes raisons de croire qu'une grande partie de cette immense tradition nous arrivant intacte des premiers temps et concernant les prétendues fées évoque des faits réels, et j'estimais que l'élément purement surnaturel qu'elle comporte doit être mis sur le compte de l'hypothèse suivante: une race disparue au cours de la grande marche de l'évolution pourrait avoir conservé, à titre de survivance, certains pouvoirs qui nous paraîtraient à nous totalement miraculeux.»

 

Dans une postface éclairante, Michel Meurger montre bien comment, en cette matière comme en d'autres, Machen était tributaire des idées de son temps (les premiers textes du recueil datent de 1895). Ainsi, à qui ne serait pas informé des contes et traditions populaires, ses nouvelles pourraient paraître comme extrêmement inventives... ce qu'elles sont, certes, mais seulement par l'art de donner une forme littéraire à tout un ensemble de traditions orales et à leur interprétation savante. Et ne boudons pas notre plaisir: la plupart des textes sont, dans ce genre, de véritables petits chefs-d'œuvre. Cependant, leur mise en perspective dans l'histoire des idées sur les contes et traditions populaires incite à quelque réflexion...

Si l'interprétation des légendes de fées et lutins comme autant de témoignages au premier degré peut maintenant faire sourire, il n'en reste pas moins vrai qu'actuellement encore, nombre de gens souscrivent à cette manière de voir. Et si l'on ne croit plus guère, en France du moins, que les membres d'un «petit peuple vêtu de vert» puissent parfois venir enlever les enfants des hommes, nombreux sont ceux qui considèrent comme autant de «témoignages» les récits d'enlèvements de femmes par l'Almasty, ou par des petits bonshommes verts venus d'on ne sait où.

Et Machen a bien raison de faire dire à l'un de ses personnages que «le scepticisme poussé à l'extrême n'est que pure crédulité» (p. 136); on peut certes voir dans cette déclaration l'un de ces astucieux paradoxes qu'il semblait affectionner, mais ce pourrait être aussi bien la preuve qu'il savait déjà ce que des sociologues ont depuis démontré: que croyance et incroyance forment un couple indissociable, et qu'on ne peut traiter utilement de l'une en ignorant l'autre.

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