Philippe Walter

Le «bel inconnu» de Renaut de beaujeu. Rite, mythe et roman. Paris, P.U.F. (Littératures modernes), 1996, 353 p.

Sous couvert d'une belle histoire d'amour, le «bel inconnu», roman écrit au début du XIIIe siècle, conte l'initiation d'un enfant-roi. Accompagnant et guidant notre lecture de ce texte en rappelant que les auteurs médiévaux n'inventaient pas la matière de leur œuvre &endash;puisqu'ils se consacraient plutôt à son «augmentation» (auteur venant du latin augere «augmenter)&endash; Philippe Walter nous oriente en direction de l'oralité qui se trouve à la source de leur écriture, et défend l'idée qu'une «littérature orale» empreinte de mythologie celtique se trouve à l'origine de la «littérature française», ce qui est particulièrement patent pour la littérature arthurienne. En cela, il s'oppose à un courant de médiévistes qui persistent à nier ou marginaliser l'apport de la tradition orale, alors que son analyse du Bel inconnu confirme combien s'éclairent les textes médiévaux lorsqu'on les replace au cœur de l'ensemble des mythes et rites qui ont laissé de nombreuses traces dans les traditions populaires, les chapiteaux des églises, ou le calendrier. L'attention portée aux indications de dates ou de saisons permet de montrer que «le temps fictif du roman renvoie en définitive à un imaginaire du temps qui n'obéit pas au seul souci de la vraisemblance chronologique ou de la vérité commune» (p. 47), bref: ce roman renvoie à un temps mythique. Comparant alors le Bel inconnu à un texte italien du XIVe siècle et au contenu très proche, le Carduino, Philippe Walter montre qu'il est peu productif de penser les ressemblances entre ces deux textes (comme avec leurs homologues anglais et allemands) uniquement en terme d'emprunt ou d'influence, car tous puisent dans un fonds culturel commun. Carduino et Perceval, par exemple, trouvent un prototype populaire en Jean de l'Ours. Utilisant largement les outils forgés par Georges Dumézil pour la mythologie indo-européenne et par Henri Dontenville pour la mythologie française, l'auteur met au jour plusieurs thèmes mythiques qui forment l'ossature du roman: l'enfance du héros fils d'une fée, son combat sur le gué, sa participation à la coutume de l'épervier, sa lutte contre trois adversaires caniculaires, sa soumission à l'épreuve du fier baiser, etc. Au passage nous sont livrés de riches éléments de réflexion sur l'origine et l'histoire du gobelin, l'utilisation rituelle des têtes coupées et les traditions concernant la Vouivre, voire sur le symbolisme de l'if, du baiser et des chandelles: autant de sédiments culturels que l'auteur, tel un archéologue, retrouve au terme d'un patient décapage des couches entrecroisées de l'oral et de l'écrit, pour découvrir qu'elles sont structurées «selon les lois d'une mémoire réglée qui obéit à une conception rituelle du temps et de l'espace» (p. 324). La démonstration, très convaincante, a de plus le mérite d'être écrite dans une langue accessible à tous, ce qui fait de ce livre une excellente initiation à la lecture des textes médiévaux. Mais pour une vue d'ensemble plus large, on pourra également consulter l'excellent manuel du même auteur: Naissances de la littérature française, IXe-XVe siècle (Grenoble, ellug, Recherches et Travaux, 1993), qui est une anthologie de textes sobrement commentés, de la naissance de la langue littéraire aux nouvelles en prose du XVe siècle; là encore, traditions orales et fondements mythologiques trouvent une place méritée.

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