La performance déformante de Paulo
Henrique
From Now On
Chorégraphie de Paulo Henrique, Centre de développement chorégraphique, 5,
avenue Etienne-Billières, Toulouse. Tél.: 05 61 59 98 78. Ce soir à 20 h3O.
Dans l'universe lisse de la technologie, Paulo Henrique montre
un corps outrancièrement humain. |
Reposer la question du corps, la remettre au centre de la scène (ou de la non scène):
telle est l'une des préoccupations de nombreux jeunes danseurs et chorégraphes. Sans
doute est-ce une réaction à la génération précédente (des années 80), qui a
refermé en partie le débat en n'évitant pas toujours le piège de la norme, toute
nouvelle soitelle. Pour revenir sur le sujet, des créateurs se retournent vers l'art
performance qui permet de bousculer bien des conventions. Ils ne le font pas, que ce soit
Jérôme Bel, Nasser Martin-Gousset, Laure Bonicel et bien d'autres - notamment belges et
portugais - dans un rapport nostalgique aux années 70-80, mais à leur manière. A savoir
de façon célibataire, restrictions budgétaires obligent (voire absence de budget tout
court). Dans une volonté aussi d'aller à la rencontre d'autres disciplines, musique ou
arts plastiques, comme sils souffraient de leur formation à la danse pure.
Paulo Henrique, que l'on a découvert à Toulouse, est de ceux-là. Ce jeune Portugais
né en Angola en 1968, et qui vit actuellement à New York, était invité par le Centre
de développement chorégraphique, dans le cadre de la manifestation «Made in corpus»
d'Odyssud. Il a interprété From Now On, chorégraphie, solo,
performance-spectacle ou performance multimédias, au fond la terminologie importe peu.
Relation à lintime. Il se présente en fond de scène derrière une
plaque transparente grossissante. Leffet déformant ne porte que sur la tête, le
reste du corps au demeurant fort maigre, contrastant avec cette monstruosité, ce visage
amplifié. «Nous ne sommes pas dans l'espace de La séduction», annonce un texte
projeté sur grand écran. C'est clair. On est plutôt dans une relation à lintime,
avec plein de cicatrices mal refermées. On ne quittera pas cet espace oú le danseur se
livre à un rituel personnel, quoique démarqué du narcissisme. On le suit dans des lieux
divers quil a cadrés sur scène. Dans cet univers lisse de la technologie, de
l'image, le corps apparait outrancièrement humain: sueur, grimaces, souffle.
Jusquau sang quil se prélève pour le boire ou pour le mêler goutte à
goutte à un petit tas de sel. La mer est là, três présente, peut-être en référence
à l'océan de l'Angola natal de Paulo Henrique, comme ce poisson prêt à cuire qui
semble pêché à la main.
Jeu avec les images. La danse qui ne s'arrête jamais à la manipulation de
quelques objets, nest pas non plus uniquement guidée par le souci de l'image.
Lâchée, projetée, elle joue avec les vidéos qui paraissent la distendre dans le temps,
la tirent en arrière, la décalent. Tout est parfaitement mis en scène, minutieux. Il
fait plutôt sombre sur ce corps que l'on regarde se débattre avec ses doleurs, sa
mémoire, son dressage. A aucun moment, le chorégraphe ne nous entraine dans le
spectacle, il sait tenir ce rapport, souvent en tension, presque violent, entre intime et
public.
On devrait le revoir à New York et à Lisbonne (pendant l'Expo universelle) avec un
autre projet multimédias, cette fois en compagnie de trois autres interpretes. Pour cette
nouvelle pièce, il s'est immergé (encore l'eau), afin de laisser plus encore flotter le
corps. Les images mouillées serviront de matières à la performance finale. En
attendant, de Toulouse, un petit saut simpose à Cahors oú se déroule le Festival
le Printemps de Cahors. Avec les soirées Nomades de la Fondation Cartier, on peut
retrouver d'autres chorégraphes qui travaillent dans le même esprit de décloisonnement:
Sylvain Prunenec propose un parcours chorégraphique et Loic Touzé se promène Dans
les allées, les allées. Et, pour prendre une part active, ou dansera samedi au «Bal
moderne» ou techno, avec Daren Price, Space DJ's, Ballistic Brothers.
MARIE-CHRISTINE VERNAY
in "Liberation", Paris
Le
29 Mai 1998
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