EFFET DE LA TECHNIQUE DU FAUX-SEMIS

SUR LA LEVÉE DES ADVENTICES ANNUELLES

 

Daniel C. Cloutier, Ph. D., Institut de malherbologie, C.P. 222.
Sainte-Anne-de-Bellevue (Québec) H9X 3R9

Maryse L. Leblanc, agronome, Institut de recherche et de développement en agroenvironnement, irda.gif (271 octets)


3300, rue Sicotte, Saint-Hyacinthe (Québec) J2S 7B8

 

Plusieurs stratégies de désherbage reposent sur la connaissance de la biologie des mauvaises herbes. Il est possible de prendre avantage de certaines de leurs particularités pour réduire la pression qu’elles exercent sur la culture. Le faux-semis, par exemple, est une technique dont la réussite s’appuie principalement sur la levée des mauvaises herbes au champ. Il consiste à travailler le sol aussi finement que pour un semis et à laisser les graines de mauvaises herbes germer (CARAB, 1987). Quand les plantules sont sorties, le sol est de nouveau travaillé pour préparer le semis ou pour refaire un nouveau faux-semis, détruisant ainsi ces adventices. L’intervalle de temps entre le premier et le second travail du sol doit favoriser un maximum de levée de plantules pour ainsi assurer le succès de la technique (Bond et Baker, 1990). Le semis différé minimise la compétition envers les cultures qui s’implantent et réduit les besoins d’efforts de répression pour la saison (Gunsolus, 1990; Lampkin, 1990; Patriquin, 1987). Une expérience a été entreprise afin d’évaluer le potentiel de la technique du faux-semis et d’étudier son effet sur la levée des adventices annuelles dans une culture de maïs-grain.

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Matériels et méthodes

L’expérience a été réalisée en 1994 à la Ferme de recherche d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, à L’Assomption, Québec. L’analyse du sol indiquait un pH eau de 6,1, 2,1% de M.O., 402 kg/ha de K2O et 105 kg/ha de P2O5. Le sol était un limon sableux grossier de la série Saint-Damase. Le champ a été labouré l’automne précédent et deux hersages au vibroculteur ont été effectués au printemps. La fertilisation a été faite selon les recommandations du Conseil des Productions Végétales du Québec. Un mélange de 412 kg/ha de nitrate d’ammoniaque (34% de N) et 60 kg/ha de muriate de potasse (60% de P2O5) a été appliqué à la volée, avant le second hersage. Au semis, 210 kg/ha de 19-19-19 (19% de N, 19% de P2O5, 19% de K2O) ont été placés en bandes.

L’expérience factorielle comptait 12 traitements: six traitements communs au semis conventionnel et au faux-semis (Tableau 1). Ils étaient disposés en blocs aléatoires complets, répétés 3 fois. Les parcelles mesuraient 3 m de large et 7 m de long et une distance de 7 m séparait les blocs, afin de permettre le passage de la machinerie agricole standard. Chaque parcelle était constituée de 4 rangs de maïs. Trois types de sarcleur ont été utilisés: la herse-peigne RabeWerk®, le sarcleur à dents danoises Kongskilde® et le sarcleur-billonneur Hiniker® possédant une patte d’oie par entre-rang. Chacun des sarcleurs a fait l’objet d’un traitement distinct comportant trois sarclages pour chacun des semis: en prélevée, à 2 et 4 semaines après la levée du maïs (SAL).

 

Tableau 1. Description des traitements pour le semis conventionnel et le faux-semis

Traitements

  1. Enherbé, sans aucune répression des mauvaises herbes durant la saison
  2. Désherbé manuellement une fois par semaine
  3. Herbicides (1 kg m.a./ha d’atrazine + 1,9 kg m.a./ha de métolachlore)
  4. RabeWerk®: 3 sarclages en prélevée, 2 et 4*SAL
  5. Kongskilde®: 3 sarclages en prélevée, 2 et 4 SAL
  6. Hiniker®: 3 sarclages en prélevée, 2 et 4 SAL

* Dans le cas du faux-semis, le sarclage a eu lieu à 5 SAL. Des conditions climatiques pluvieuses ont empêché le passage du sarcleur à 4 SAL.

Le champ a été hersé au complet le 13 mai et le premier semis de maïs-grain cv. ‘Pioneer 3921’, hybride de 2 600 unités thermiques, a eu lieu le 14 mai. Les parcelles servant au faux-semis ont été laissées sans travail du sol pendant un intervalle de deux semaines. Le 29 mai, ces dernières ont de nouveau été hersées au vibroculteur et semées. Le maïs du semis conventionnel a levé le 23 mai alors que celui du semis différé est apparu le 7 juin. Tous les semis ont été réalisés au taux de 80 000 grains ha-1, à une profondeur de 3,5 cm. La distance entre les rangs était de 76 cm. La récolte a été effectuée le 11 octobre. Une longueur de 5 m de maïs, sur les deux rangs du centre de la parcelle, a été l’objet d’évaluation, en laissant ainsi 1 rang de garde de chaque côté et 1 m à chaque extréminité de la parcelle. Au total, 10 m de rang ont été récoltés et les variables de rendement en T ha-1 et le pourcentage d’humidité du grain à la récolte ont été mesurés.

Les populations de mauvaises herbes ont été suivies tout au cours de la saison de croissance. Les espèces ont été identifiées et comptées. Cette évaluation a été faite à partir d’un quadrat disposé entre les rangs de maïs. La distribution de celui-ci a été faite au hasard, à l’intérieur de la parcelle. Par la suite le quadrat a toujours été placé au même endroit et a été mis en place de façon permanente, après le dernier sarclage. Chacun des quadrats mesurait 20 cm de large par 1 m de long. Dans la parcelle témoin désherbée manuellement, les mauvaises herbes étaient coupées au ras du sol suite à leur dénombrement.

Résultats

La flore du site était composée de 70% de dicotylédones annuelles, 7% de monocotylédones annuelles et 23% de vivaces et de pérennes. La principale mauvaise herbe était le chénopode blanc (Chenopodium album L.) et représentait 65% des adventices annuelles. Parmi les autres espèces annuelles en importance, on comptait 6% de capselle bourse-à-pasteur (Capsella bursa-pastoris (L.) Medic.), 5% d’échinochloa pied-de-coq (Echinochloa crus-galli [L.] Beauv.), 3% d’amarante à racine rouge (Amaranthus retroflexus L.) et 3% de sétaire glauque (Setaria glauca [L.] Beauv.). Bien que la densité des différentes espèces était moindre, l’utilisation du faux-semis n’a pas modifié la proportion que chacune des espèces occupait sur le site.

Pour l’ensemble des adventices annuelles, les résultats indiquent une baisse de 67% de celles-ci, correspondant à une réduction de 500 à 700 plantules m-2 dans le semis différé comparé au semis conventionnel au cours des mois de mai et de juin (Figure 1). Les parcelles enherbées du semis conventionnel avaient des densités de 900 plants m-2 alors que celles du faux-semis avaient au maximum 300 plants m-2.

 

Figure 1. Comparaison de l’évolution temporelle des densités cumulatives d’adventices annuelles dans le traitement enherbé du semis conventionnel (C) et du faux-semis (F), sous un couvert de maïs.

Le patron de levée des adventices annuelles était semblable mais décalé par rapport au semis conventionnel et de moindre amplitude (Figure 2). Le patron de levée réfère à l’émergence ponctuelle de nouvelles plantules de mauvaises herbes pendant un intervalle déterminé. Le maximum de levée était au début mai alors qu’avec le faux-semis, il se trouvait à la deuxième semaine de juin. Le maximum de levée était deux fois moins élevé avec le faux semis qu’avec le semis conventionnel. Après le 1er juillet, très peu de levées de mauvaises herbes ont été observées.

 

 

Figure 2. Comparaison de l’évolution temporelle des levées d’adventices annuelles dans les traitements désherbés manuellement (1 fois par semaine) du semis conventionnel (C) et du faux-semis (F), sous un couvert de maïs.

Le premier sarclage, effectué en prélevée du maïs, n’a pas influencé la levée des adventices dans le semis conventionnel ou dans le semis différé (Figure 3). Par contre, les sarclages subséquents ont permis de maintenir, au cours de la saison, le niveau de la population d’adventices à 20% de la population initiale.

 

Figure 3. Comparaison de l’évolution temporelle des densités d’adventices annuelles dans un semis conventionnel (C) et dans un faux-semis (F) suite aux traitements de sarclages effectués en prélevée, à 2 et 4 SAL, sous un couvert de maïs; s: semis de maïs.

Les sarclages effectués dans le semis conventionnel et dans le faux-semis ont réduit respectivement les populations de mauvaises herbes à des niveaux 10 et 7 fois moindre que dans le traitement enherbé. La période dans laquelle il y a eu le moins d’adventices est semblable: entre 3 et 4 semaines après la levée du maïs que le semis soit conventionnel ou différé et indépendamment des sarcleurs utilisés. Cependant, le niveau d’enherbement était plus important dans le semis conventionnel et les sarclages n’ont pas réussi à réprimer parfaitement les mauvaises herbes alors que la technique du faux-semis a permis d’atteindre une répression complète après le dernier sarclage. À la fin juillet, la densité des adventices était semblable qu’importe le type de sarcleur: environ de 50 plantules m-2. Par contre, avec la herse-peigne et à la même période, on enregistrait 75 plantules m-2 de plus dans le semis conventionnel que dans le semis différé.

Discussion et conclusion

La technique du faux-semis a été efficace pour réduire la densité des adventices annuelles dans cette expérience. Comme les résultats l’indiquent, les deux tiers des adventices annuelles ont été supprimés en différant le semis de deux semaines. Le faux-semis n’a pas modifié la composition floristique mais il a diminué la densité de chacune des espèces. Ces observations sont semblables à celles notées par Gunsolus (1990) qui obtient des réductions variant entre 63 et 85% avec un semis différé de 3 semaines.

Les sarclages mécaniques ont amplifié l’action du faux-semis sur la répression des mauvaises herbes et réduit de 80% la densité des adventices. Avec trois passages du sarcleur, il est possible d’atteindre des niveaux de répression semblables indépendamment de la technique utilisée. La herse-peigne RabeWerk® fait exception car il existe une différence marquée entre les deux techniques. La herse-peigne étant moins aggressive que les deux autres sarcleurs utilisés, fonctionne bien lorsque les mauvaises herbes sont petites, surtout au stade cotylédon. Dépassé ce stade, l’appareil devient moins efficace car les mauvaises herbes sont trop bien enracinées pour être détruites. Donc, dans un premier temps, ce type de sarcleur ne convient pas nécessairement à un régime de sarclages basé uniquement sur le calendrier. De plus, il semble que la densité des mauvaises herbes influence l’efficacité du désherbage. Lampkin (1990) rapporte que les sarclages sont peu efficaces si les mauvaises herbes couvrent plus de 40% de la surface du sol car le niveau des populations résiduelles demeure au-dessus du seuil de tolérance de la culture. Plusieurs passages du sarcleur sont alors nécessaires. En réduisant la pression des adventices par la technique du faux-semis, le sarclage par la herse-peigne a été facilité et a permis d’atteindre des niveaux de répression comparables aux deux autres sarcleurs; ce qui n’a pas été le cas avec le semis conventionnel. Etant donné que la compétition des adventices est réduite lorsqu’on utilise la technique du faux-semis, les méthodes de lutte pourraient aussi être moins intensives et réduire ainsi les coûts de désherbage.

L’hybride de maïs utilisé n’a pas subi de réduction de rendement relativement à la date de semis (p>0.05). Par contre, le taux d’humidité à la récolte était supérieur de 2% dans le semis tardif (p<0.001). Il peut donc s’avérer un peu plus coûteux d’utiliser la technique du faux-semis lorsqu’il faut faire sécher le grain pour l’entreposer. Deux alternatives s’offrent aux producteurs: récolter le plus tardivement possible ou utiliser un hybride plus hâtif que celui habituellement sélectionné pour leur région. Sa précocité assurerait une marge de manoeuvre advenant des conditions climatiques qui ne seraient pas favorables à la croissance du maïs.

 

Remerciements

Nous tenons à remercier le personnel ouvrier de la Ferme de recherche d’Agriculture et Agro-alimentaire Canada et de la Station de recherche du M.A.P.A.Q., à L’Assomption pour leur soutien opérationnel, Robert Thérien pour son aide technique et tous les étudiants qui ont participé à la prise des données. Les suggestions du Dr. Louis Assémat furent grandement appréciées.

Références

BOND W. ET P.J. BAKER (1990) Patterns of weed emergence following soil cultivation and its implications for weed control in vegetable crops. In: Organic and low input agriculture (ed R. Unwin) British Crop Protection Council Monograph No. 45, 63-68.

CARAB (1987) Les bases de la culture biologique des légumes. CRABE asbl-Maraîchage biologique, Opprebais, Belgique.

GUNSOLUS J.L. (1990) Mechanical and cultural weed control in corn and soybeans. American Journal of Alternative Agriculture 5, 114-119.

LAMPKIN N. (1990) Organic Farming. Farming Press Book, Ipswich, UK.

PATRIQUIN D.G. (1988) Weed control in organic farming system. In: Weed management in Agroecosystem: Ecological Approaches (eds M.L. Altieri & M. Liebman), pp. 303-317. CRC Press, Boca Raton, FL.

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