Lettre ouverte aux terroristes

Depuis le temps que tu m'écris, et quand je dis tu, c'est toi et tes frères, car tu es pluriel, je manquerais à la plus élémentaire éducation si, à la fin de ce millénaire, je ne te répondais pas.

Tu as commencé timidement ou presque, par une petite lettre pleine d'insultes bien sûr, m'avertissant que le paradis, pour moi, il ne fallait pas y compter. A force de lire les paroles du Prophète, tu te prenais toi aussi pour un envoyé.

Devant mon manque de bienséance, mais que veux-tu, tu avais omis d'indiquer ton adresse sur tes lettres anonymes, tu as franchi un pas de plus. Le couteau ou tout autre instrument tranchant te démangeait et passant de la prophétie au rêve d'acte, tu te voyais paré d'ailes, d'épée et de l'armure de l'ange exterminateur qui, par un geste suprême pensais-tu, allait délivrer notre pauvre planète Terre d'un incroyant qui foulait aux pieds, et j'en ai des grands, tes convictions intégristes.

Tu n'étais pas très fidèle à cette époque, serais-tu un infidèle, ta correspondance menaçante laissant à désirer. C'est à peine si tu me vouais à tous les enfers chaque 6 à 8 semaines. L'assiduité ou le travail n'était pas ton fort. Tu me faisais sourire ou enrager car, après tout, tu aurais pu écrire comme tout un chacun par la poste, tes grandes missives remplies de faits historiques et de jugements derniers ruinant les rouleaux de mon fax.

Et voilà qu'un beau jour de l'année dernière, une fois de plus le ton a changé. Ce n'était plus l'individu, excuse-moi de te traiter d'individu, je ne peux tout de même pas te traiter d'homme, qui m'adressait ces propos incohérents. Cette fois, cela a pris un ton solennel, pour ne pas dire officiel. Tu as trouvé plus pervers que toi, tu n'es en fait qu'un pauvre type et quelques docteurs de la loi aussi pervertis que toi ont pris la plume anonyme à ta place pour m'envoyer quelques fatwas. Par Allah, oserais-je dire, que de papiers gâchés, car enfin, qu'est-ce que je t'ai fait à toi et à tes semblables. Est-ce que par hasard tu n'aurais pas aimé que j'écrive que les Musulmans sont bons et que toi, terroriste, tu n'es ni Musulman ni bon. Ou est-ce parce que je t'ai traité de lâche, d'incroyant, de tueur d'enfants, de violeur de femmes, de persécuteur de faibles, d'ennemi de la vie, de jouisseur sanguinaire, d'assassin, de dégénéré et de vicieux ?

Ta technique, ennemi terroriste, permets-moi de te le dire, ne fonctionne pas très bien. Tu avais misé sur la terreur que pourraient m'inspirer tes chiffons de papier, mais vois-tu, chaque piqûre que tu veux m'infliger renforce ma conviction que je dois continuer à te dénoncer. Tu voulais tuer la liberté d'écrire, tu l'as exacerbée et puisque tu me menaces de mort, je te menace de lire. Tu me menaces de sang et de pleurs, je te menace de lignes noires sur du papier blanc.

Voilà où nous en sommes en ce début de 1999 dont je ne dois, selon toi et tes semblables, pas fêter le réveillon. Puis-je te dire sans te vexer une fois de plus, que ta haine commence à tourner à l'obsession. A propos, je crois avoir oublié dans les qualificatifs te décrivant, de te traiter de menteur et d'usurpateur, car, lorsque tu m'écris à présent, tu commences toutes tes lettres avec l'en-tête : AU NOM DE DIEU. Te prendrais-tu pour son envoyé ?

Son envoyé, tu n'es pas, son dévoyé peut-être, mais rien de plus. Tu pourrais effectivement commencer tes phrases en citant tes en-têtes, tu pourrais te prévaloir de parler "au nom de Dieu" si, car il y a un si,

si tu faisais le bien à la place de faire le mal,

si tu souriais aux enfants à la place de les massacrer,

si tu protégeais les faibles au lieu de les opprimer,

si tu respectais les femmes au lieu de les violer,

si tu nourrissais les affamés au lieu de les voler,

si tu enseignais au lieu d'imposer,

si tu expliquais au lieu de menacer,

si tu comprenais la diversité au lieu de la rejeter,

si tu acceptais l'ouverture au lieu de te jeter dans l'intégrisme,

si tu lisais le Livre au lieu de l'interpréter,

si tu voyais l'avenir à la place de rêver au passé,

si tu acceptais les rires et les chants et cessais de rêver au chagrin,

si tu pensais bonté à la place de cruauté,

si tu ne rêvais pas de pouvoir absolu mais de bonnes volontés partagées,

si tu arrêtais de te conduire en tyran pour te conduire en voisin,

si tu arrêtais d'éprouver de la fierté découlant de la souffrance que tu infliges pour le bonheur que tu pourrais donner,

si, vois-tu, avec ce petit mot, tu pourrais changer tant de choses. Changer la laideur en beauté, la haine en amitié, les pleurs en réjouissances, une famille en deuil en famille heureuse. Avec ce petit si, les orphelins de ta guerre inutile disparaîtraient, les femmes ne pleureraient plus et les mères ne gémiraient plus, tes frères ne te renieraient plus, mais voilà, il y a ce si...

Si enfin cette année tu pouvais comprendre que la violence n'a jamais amené que la violence, la haine la haine, et que la mort n'apporte que la mort. Mais es-tu capable de ce si...

Si tu pouvais comprendre que les bombes, les attentats et les menaces de mort ne servent à rien, sinon à amener les hommes à se haïr.

Voilà, correspondants anonymes, lointains ou proches, vous pouvez le constater, vos courageuses lettres anonymes et autres fatwas ne m'ont guère impressionné. Vous avez raté votre objectif. Il ne faut pas qu'une voix quelle qu'elle soit se taise quand elle appelle à la paix, à la compréhension et à la tolérance. C'est la mission d'un journaliste et je ne faillirait pas à ma mission. Je vais donc continuer à la faire résonner jusqu'à ce que la terreur intégriste s'estompe au profit de la compréhension entre les hommes de bonne volonté.

Pierre Alien, journaliste et écrivain

Francité



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