Saint Charles Garnier


Paul-Émile Vignola

 

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Alors que certains de nos martyrs, comme Jean de Brébeuf, ont la taille de géants, Charles Garnier s’apparente plutôt à Louis de Gonzagues et à Stanislas Kostka, des anges égarés sur terre. Son visage imberbe et le fait que, dès son noviciat, il avait la réputation d’un saint nous confirment dans cette impression. Touchée par cette personnalité, une femme de lettres et de pensée, Laure Conan, en a écrit une biographie romancée, À l’œuvre et à l’épreuve (1891), qui se lit encore bien.

 

Né à Paris le 25 mai 1606 d’une famille riche et distinguée, Charles Garnier perdit très tôt sa mère et vécut sa jeunesse entre son père et ses deux frères. Il étudia chez les Jésuites et, l’heure venue de choisir sa voie, il voulut se joindre à la Compagnie. M. Garnier s’y opposa d’abord, car il nourrissait d’autres ambitions pour ce garçon doué et séduisant, d’autant plus que ses deux autres fils s’étaient déjà donnés au service de l’Église, l’un au Carmel et l’autre chez les Capucins. La douce opiniâtreté du fils eut pourtant raison des réticences du père qui déclara au maître des novices qui accueillait le nouveau candidat : « Mon Père, si je n’aimais votre Compagnie par-dessus tout, je ne vous donnerais pas un enfant qui, depuis sa naissance jusqu’à maintenant, n’a jamais commis une désobéissance et ne m’a jamais causé le moindre déplaisir ».

 

Entré en religion en 1924 à dix-huit ans, Charles fit ses premiers vœux en 1626, étudia la philosophie et les sciences, enseigna dans un collège où il côtoya le Père de Brébeuf et aborda la théologie en 1632 en même temps qu’Isaac Jogues qui sera ordonné prêtre avec lui en 1636. Quand Charles demanda d’être affecté aux missions de Nouvelle-France, les supérieurs mirent comme condition à leur feu vert qu’il obtint le consentement de son père. Il dut mener une nouvelle lutte qui enflamma son désir et qu’il remporta au bout d’un an.

 

Trois mois après leur ordination, les Pères Jogues et Garnier s’embarquaient à destination de Québec qu’ils atteignirent le 10 juin, au terme d’une belle traversée. Le 1er juillet, Charles partait en canot pour Trois-Rivières où les Indiens venaient vendre leurs fourrures. Dès le 21 du même mois, avec un confrère Jésuite, il était pris en charge par un convoi qui rentrait au pays des Hurons. Le 14 août, après un voyage agréable, les canotiers étant bien disposés à l’égard des Robes-Noires, il arrivait à la mission Sainte Marie. Moins de six mois s’étaient écoulés entre son départ de Paris et son arrivée en Huronnie, une contrée au rude climat, sans aucun confort, et dont les mœurs heurtaient de plein front la civilité au sein de laquelle il avait toujours vécu.

 

Le jeune missionnaire se mit à l’œuvre sans tarder. Il commença par l’étude de la langue qu’il apprit avec facilité, car il était doué d’une intelligence exceptionnellement brillante. Dès la fin d’août, il avait le bonheur de célébrer son premier baptême, un enfant qu’il nomma Joseph. Vers le même temps, il découvrit la cruauté féroce de son entourage lorsqu’on supplicia sous ses yeux un prisonnier Iroquois auquel ne fut épargnée aucune torture…

 

De l’été 1636 jusqu’à sa mort, Charles Garnier ne quittera jamais la mission. Les treize années de son apostolat sont marquées par un zèle étonnant et une pratique si exemplaire de toutes les vertus que ses supérieurs, dans leurs lettres, n’hésitent pas à parler de sa sainteté. Il se distingua par une charité si parfaite que les Hurons, pourtant si durs et si aveugles, en furent eux-mêmes touchés.

 

Une étude psychologique des écrits et des gestes de notre héros aurait décelé chez lui une sourde opposition à son père et une volonté farouche de s’affranchir. Tout son tempérament l’aurait porté à rechercher l’héroïsme, l’abrupt des situations impossibles. Sa tentation aurait donc été de vouloir pour lui le plus crucifiant, parce que plus crucifiant, et de poursuivre la vertu pour elle-même. De fait, si la vocation missionnaire du Père Garnier peut avoir des racines psychologiques dans la fuite d’un père autoritaire, l’Esprit brisa en lui l’infernale logique de l’affectivité qui l’aurait mené à faire souffrir ses confrères et les Indiens dont il avait la charge. Il l’investit d’une authentique vocation missionnaire de sorte qu’il se révéla, en pleine sauvagerie, le plus heureux des hommes et qu’il manifesta avec un zèle de plus en plus prudent, de plus en plus fécond. Loin d’être un saint casse-pied, il se comporta en ange de douceur. Voyons le témoignage d’un confrère : « J’admirais souvent en lui qu’il ne parlait jamais en mauvaise part d’aucun sauvage, quelque impertinent qu’il fût. Et moi, souvent, lui parlant de quelque faute qui m’eût déplu en eux, il écoutait paisiblement, et l’excusait, ou bien ne disait mot, et jamais je n’ai pu remarquer, ni en ses paroles ni en ses actions, si peu que ce soit de passion à l’endroit d’aucun sauvage ». N’y a-t-il pas là un écho de l’hymne à la charité : « Elle excuse tout, elle croit tout, elle espère tout, elle endure tout » (1 Co 13, 7) ? Cette charité le conduira, selon le Père Ragueneau, à « entrer très avant dans les cœurs », c’est-à-dire non pas seulement à les aimer, comme son père l’avait fait abondamment pour lui, mais à les comprendre.

 

Les villages étaient souvent frappés d’épidémies et de fièvres, causes de nombreux décès. Les missionnaires n’échappaient pas à ces périls et, de plus, on les accusait souvent d’en être les responsables. Dès l’année 1636, Charles fut frappé d’une fièvre contagieuse qui désolait la région ; moins atteint que ses confrères, du moins en apparence, il se leva de son grabat et courut au secours des innombrables malades qui avaient besoin de son ministère. Le Père Ragueneau, fin connaisseur d’âmes et son supérieur, écrit à son sujet : « Durant les maladies contagieuses qu’on nous fermait partout les portes des cabanes, et qu’on ne parlait d’autre chose que de nous massacrer, non seulement il marchait tête baissée où il savait qu’il y eût une seule âme à gagner pour le paradis, mais, par un excès de ce zèle et une industrie de la charité, il trouvait les moyens de s’ouvrir tous les chemins qu’on lui fermait, de rompre tous les obstacles, quelquefois avec violence ». Jésus n’a-t-il pas dit : « Depuis les jours de Jean le Baptiste jusqu’à présent, le royaume des cieux souffre violence, et des violents s’en emparent » (Mt 11, 12).

 

Pour quelqu’un doué d’une telle force de caractère, l’obéissance s’avère souvent le point faible. Lisons donc ce qu’il écrit à son frère : « J’aimerais mieux être dans une fonction par obéissance, où je ne pourrais presque rien faire, que d’être occupé par ma volonté dans de grands emplois ». Et le Père Ragueneau, témoins de sa conduite, vient confirmer : « Il n’avait aucune attache à son travail, ni aux personnes, ni aux lieux, ni aux emplois. Envisageant la volonté de Dieu également en toutes choses, en quelque pays qu’il fût, quelque occupation que l’obéissance lui donnât, il s’y portait avec constance et comme un homme qui n’avait plus d’autres pensées au monde, sinon de trouver Dieu où on voulait qu’alors il le cherchât ».

 

Le Père Charles Garnier fit sa profession solennelle le 30 août 1643, entre les mains du Père Jérôme Lalemant. L’événement se déroula devant une assistance d’Indiens, dans la cabane de troncs d’arbres et d’écorces, qui servait d’église à Sainte-Marie des Hurons. Quel sanctuaire plus propice que celui-là pour vouer au Dieu de Bethléem et du Calvaire la pauvreté, l’obéissance et la chasteté !

 

En 1649, notre héros s’occupe du village de Saint-Jean dans le sud de la Huronnie, un endroit très exposé aux excursions meurtrières des Iroquois. On apprend qu’une troupe de trois cents ennemis s’approche sans qu’on sache où ils veulent attaquer. La défense des lieux s’organise, mais les Iroquois se faisant attendre, les guerriers partent en forêt au-devant d’eux pour les surprendre et ne les rencontreront pas… La bourgade se trouve désarmée lorsque, le 7 décembre, surviennent les assaillants. Invité à gagner un endroit moins exposé, le missionnaire, brûlant d’amour pour le Christ, avait écrit trois jours plus tôt : « Je ne descendrai jamais de la croix où sa bonté m’a mis ». Au moment de l’attaque, il était à visiter des candidats au baptême. Il court à la chapelle, invite ceux qui le peuvent à fuir et s’affaire, quant à lui, à baptiser et absoudre les victimes du massacre en cours. Deux balles d’arquebuse l’atteignent et le blessent gravement. Il tombe, prie et voit à dix pas un malheureux qui agonise. Il accomplit des efforts surhumains pour s’en rapprocher, mais une hache iroquoise lui fracasse la tempe.

 

Charles Garnier avait cultivé depuis sa tendre enfance une dévotion spéciale pour la Vierge. Au cours de ses études théologiques, il s’était même engagé par vœu à défendre jusqu’à l’effusion de son sang la doctrine de la conception sans tache de Marie. Il rendit l’âme à l’heure où l’Église chantait les premières vêpres de la fête de l’Immaculée.



Magazine SELON SA PAROLE (QUÉBEC) traitant de questions reliées à la spiritualité, l'évangélisation, l'éducation de la foi et la vie en Église

Selon Sa Parole mars-avril vol. 28 numéro 2

 

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Dernière mise à jour 25 mai 2002

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