Revue SELON SA PAROLE 15 novembre 1996 vol. 22 numéro 11

RENOUVEAU CHARISMATIQUE ET OPTION POUR LES PAUVRES

Hermann Giguère

Le dernier sommet économique du Québec a vu les groupes communautaires auxquels s'est associée l'Assemblée des évêques du Québec se battre pour une clause d'appauvrissement zéro pour les plus démunis de notre société. Tout n'a pas été gagné, mais la sensibilisation aux plus pauvres dans le contexte économique des compressions de toutes sortes a franchi un pas. Elle devra continuer.

Est-ce que les groupes du Renouveau peuvent rester indifférents à cette question? Peuvent-ils se contenter de prier en "vase clos"? Comment annoncer l'Evangile aujourd'hui sans une option préférentielle pour les pauvres? "Renouveau dans l'Esprit et service de l'homme" déclaraient le cardinal Suenens et Mgr Helder Camara dans le Document de Malines numéro 3 paru en 1979.

La question qui se pose en fait est la suivante: comment peut-on être charismatique dans la société et l'Eglise d'aujourd'hui à l'aube du deuxième millénaire?.

Voici quelques réflexions qui veulent faire voir comment les deux dimensions de la vie chrétienne: la verticale (prière, louange, intériorité) et l'horizontale (service de l'homme, option pour les pauvres, libération) ne peuvent jamais être séparées. Une prière qui fait s'évader en dehors du monde est une prière qui n'est pas chrétienne. Elle n'est pas celle du Christ qui prie dans le chrétien animé par l'Esprit. La fraternité entre nous et avec les plus démunis est au coeur de l'expérience du Renouveau charismatique. Elle n'en est pas une résultante accessoire.

UNE TENSION NÉCESSAIRE

Prière et engagement pour les pauvres apparaît au premier abord comme une antinomie oú les deux póles seraient irréconciliables. Cette vision est assez répandue, même si c'est souvent de façon diffuse, sans le proclamer ouvertement. C'est le contraire qu'il faut soutenir. Quand je me tourne vers mon frère ou ma soeur dans le besoin, je ne quitte pas Dieu: "Je quitte Dieu pour Dieu" disait sainte Thérèse d'Avila.

Le chrétien accepte de vivre cette tension dans sa vie, dans l'Eglise et aussi dans son groupe du Renouveau s'il s'y engage à fond.

Certains on le sait auront tendance à privilégier - parfois jusqu'à diviser la communauté - un seul versant de cette tension nécessaire. Ils ne mettent l'accent que sur la prière, sur le spirituel, sur l'expérience des dons et charismes plus extraordinaires.

Des critiques sont souvent formulées aux groupes du Renouveau charismatique, sur le manque d'engagement concret dans le social des membres du Renouveau charismatique.

La question est posée comme un défi. Un défi à relever. Nous avons à écouter ces réactions, puisque même les évêques de notre pays, en 1975, dans un message aux groupes du Renouveau charismatique, disaient leur interrogation face à l'indifférence, voire la réticence de certains groupes à s'intéresser activement aux besoins de leur milieu. "Ils deviennent - disaient-ils, en parlant de ces groupes - des cercles fermés oú l'on s'évade de la réalité pour quelques heures au lieu d'être, comme il se doit, des tremplins d'oú on s'élance vers le monde."

Voilà de quoi faire réfléchir sur cette tension, inscrite au coeur même de notre foi en Jésus-Christ, Dieu fait homme, Fils de Dieu incarné, Verbe fait chair, Dieu et homme. Insondable mystère de l'incarnation! Cette tension inscrite dans notre foi en Jésus, est au coeur même de L'Église, sacrement de Jésus dans le monde, signe visible de sa présence dans le monde d'aujourd'hui.

Pour aider les groupes du Renouveau des années 90 à réfléchir sur cette aspect de leur mission au coeur de l'Eglise et au coeur de la société oú ils sont partie prenante et agissante, voici maintenant quelques conditions à respecter pour guider nos cette démarche (personnelle ou de groupe) de discernement des appels concrets du Seigneur aux groupes du Renouveau qui désirent être des "témoins de l'Evngile" pour aujourd'hui.

Ces conditions sont au nombre de quatre:

- Nul n'a de monopole

- Combat pour la justice

- Ligne verticale

- Unité et communion

NUL N'A DE MONOPOLE

La première condition pourrait se formuler ainsi: "Nul n'a de monopole dans l'Église de Jésus".

Il faut mettre au premier plan cette réalité. Elle est fondamentale, elle est constitutive de l'Église. Il n'existe pas des chrétiens qui auraient le monopole de la prière dans l'Église et d'autres chrétiens qui auraient celui de l'engagement. En d'autres termes, il n'y a pas de chrétien qui ne soit pas homme ou femme de louange et de prière, parce que chaque baptisé a reçu l'Esprit Saint et qu'en chaque baptisé, lorsqu'il prie, c'est ce même et unique Esprit qui lui fait crier comme le dit saint Paul: "Abba Père". C'est cet Esprit qui l'habite, qui répand l'amour de Dieu dans son coeur, qui fait de lui un enfant de Dieu (Rm 8, 15).

Il n'y a pas non plus de chrétiens qui auraient à mettre de cóté le social, les besoins de ses frères et soeurs, l'option préférentielle pour les pauvres. L'épître de saint Jacques est très claire à ce sujet au chapitre deux: "Si un frère ou une soeur n'ont rien à se mettre sur le dos et pas de quoi manger tous les jours et que l'un de vous leur dise: , sans que vous leur donniez de quoi subsister, à quoi bon votre foi. A quoi sert votre foi sans les fruits, sans des oeuvres? (cf. Jc 2,15-17).

Voilà la première condition. Il n'y a pas de monopole dans cette tension que nous vivons, inscrite au coeur même de notre foi et au coeur de la vie de l'Église. Il n'y a pas d'excommunication à faire ni d'un cóté ni de l'autre. Nous avons à répondre, selon notre vocation, à la totalité de l'appel de l'Évangile.

COMBAT POUR LA JUSTICE

La seconde condition: pour répondre à l'appel de l'Évangile dans l'Église d'aujourd'hui est le combat pour la justice. Dans la société, entre nous et dans l'Église aussi, le respect de la dignité des personnes, l'option pour les pauvres, les petits, les exclus, en somme le combat pour la justice n'est pas un choix qui est offert aux baptisés. Il fait partie intégrante de l'annonce de l'Évangile au monde, à nous-mêmes d'abord et aussi à ceux et celles qui nous voient vivre.

Ce témoignage pour la justice, ce n'est pas seulement de dire que "Jésus est vivant", mais c'est de le proclamer dans sa vie. C'est aussi de faire et conduire cette annonce de l'Évangile à la façon de Jésus pour qu'elle rejoigne comme Jésus l'a fait les petits, les pauvres et qu'elle libère les captifs.

Il faut décidément reconnaître la place essentielle de cette approche dans l'Église. Une prière isolée de l'action est un danger. Le combat pour la justice n'est pas un choix à faire pour le véritable chrétien, il fait partie intégrante de l'annonce de l'Évangile. Nos modèles, les saints nous donnent d'admirables exemples. Voir le beau témoignage du couple breton dans la rubrique Des témoins pour aujourd'hui.

Il s'agit en somme du róle prophétique de l'Église. Ce n'est pas seulement le travail de quelques uns dans l'Église. C'est l'Église toute entière qui annonce la Bonne Nouvelle aux pauvres, la libération aux captifs.

Le regretté cardinal Suenens qui a soutenu le Renouveau charismatique à ses débuts et aussi toujours par la suite écrivait: "Il ne suffit pas d'entrer au Cénacle, il faut aussi en sortir. La prière authentique ne sera jamais évasion, elle doit se faire amour des autres. La prière doit se faire imagination créatrice, charité, compassion, justice et réconciliation."

LE PREMIER COMMANDEMENT OU LA LIGNE VERTICALE

Le premier commandement "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toutes tes forces" ne se sépare du second "Tu aimeras le prochain comme toi-même". Et le second ne peut se séparer du premier. Il est important de prendre conscience qu'il est normal que le premier commandement soit le premier, et que le second, qui lui est semblable, soit le second.

La troisième condition sur laquelle je voudrais insister nous invite donc à reconnaître l'action de Dieu dans notre monde. Cette "ligne verticale" est essentielle à la solidité des rapports horizontaux avec nos frères et soeurs. Pour faire une croix il faut un morceau de bois qui soit planté en terre et qui monte vers le haut et au autre qui le coupe dans le sens horizontal. La ligne verticale est essentielle au combat pour la justice.

Il faut donc se rappeler ceci: quelle que soit notre orientation ou notre vocation personnelle, nos goûts, nos attraits, qui que nous soyons, époux mariés, laïques engagés, ministres ordonnés, religieuses et religieux, notre vocation n'est jamais un absolu, elle reste toujours complémentaire à celle des autres. La diversité des dons et des charismes est une réalité de la vie de l'Eglise animée par l'Esprit. Cette diversité elle-même est un don de l'Esprit qui manifeste la richesse de la vie dans l'Esprit. Toute vocation dans l'Eglise s'enrichit de la vocation des autres.

Le premier commandement, vécu dans sa logique interne, nous conduit au second commandement. Saint Jean l'a dégagé pour nous dans sa première épître: "Si quelqu'un dit aimer Dieu qu'il ne voit pas et qu'il hait son frère qu'il voit, c'est un menteur" (I Jn 4, 20 cf aussi I Jn 3, 14-18). Il y a donc une logique interne. Car le premier commandement reste toujours le premier: mettre Dieu à l'avant-plan produit des fruits qui dépasse bien souvent nos espérances et nos pauvres moyens. De cela le Seigneur nous fait la grâce dans les groupes du Renouveau charismatique. Grâce de voir les merveilles que le Seigneur fait lorsque nous le mettons à la première place. Grâce de voir les ressources et les possibilités qu'il nous donne, lorsque nous consentons à ne plus nous préoccuper de ce qui n'est pas nécessaire, lorsque nous consentons à lui remettre, à lui abandonner la direction de notre vie.

Mettre Dieu à l'avant-plan, c'est reconnaître que les maux de la société ou les tâches à faire ne sont pas des avenues bouchées ou des "missions impossibles". Les remèdes viennent en premier lieu du coeur de l'homme qu'il faut changer. Les groupes du Renouveu ont lancé ce message de multiples façons depuis 20 ans.

UNITÉ ET COMMUNION

Quatrième condition. Dans L'Église nous célébrons l'unité et la communion comme don du Seigneur que nous avons toujours à recevoir dans l'Eucharistie et les autres sacrements.

Qu'est ce que cela veut dire? Dans L'Église, tant que nous sommes en marche comme peuple de Dieu vers la demeure du Père, nous sommes des hommes et des femmes faillibles, pécheurs. Mais si nous nous réunissons pour l'Eucharistie et que les gens voient en nous, entre nous le signe de Jésus: unité et communion, notre témoignage. malgré ses limites, en reçoît une plus grande crédibilité.

Nous devons le reconnaître: nous ne créons pas par nous même cette communion, cette unité-là; nous la recevons dans la foi parce que nous nous savons pécheurs.

Nous pouvons sortir de l'Eucharistie et faire la pire imbécillité après. Nous avons besoin de redire sans cesse au Seigneur la prière que nous disons toujours à la messe avant de nous donner la paix: "Seigneur Jésus, toi qui a dit à tes apótres: , ne regarde pas nos péchés mais la foi de ton Église et pour que ta volonté s'accomplisse, donne-lui toujours cette paix et conduis la vers l'unité parfaite."

Une Église célébrante dans les sacrements, dans l'Eucharistie en particulier, c'est une Église qui réunit des chrétiens très divers mais qui ne s'excommunient pas les uns les autres. Une chose les caractérise: ils sont des pécheurs qui reçoivent du Seigneur ce qui les unit, ce qui les fait communier ensemble, ce qui les grandit. Ils savent qu'en ce faisant ils annoncent, à travers ce qu'ils vivent, ce que le Seigneur fera au terme des siècles lorsque nous serons tous rassemblés autour du Père, pour le festin avec Jésus.

Il ne faut pas avoir peur de reconnaître les divisions qui existent soit dans nos groupes soit entre chrétiens. Il faut les porter au Seigneur pour qu'il transforme tout et donne l'orientation vraie qui est la sienne.

CONCLUSION

Des premiers chrétiens, le livre des Actes des apótres dit: "Ils se montraient assidus à l'enseignement des apótres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières.... Tous les croyants ensemble mettaient tout en commun" (Actes 2, 42, 44) Et plus loin encore: "Nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais entre eux tout était commun... Aussi parmi eux nul n'était dans le besoin...On distribuait à chacun suivant ses besoins" (Actes 4, 32, 34).

NOTE D'AUTEUR

L'abbé Hermann Giguère est professeur titulaire de théologie spirituelle et d'histoire de la spiritualité à la faculté de théologie de l'Université Laval à Québec. De plus, il est animateur au Grand Séminaire de Québec, membre du Conseil canadien du Renouveau charismatique et directeur de la revue Selon Sa Parole.