Commentaires du Veni Creator
Raniero Cantalamessa


Viens, Esprit Créateur,
visite l'âme de tes fidèles,
emplis de la grâce d'En-Haut
les cœurs que tu as créés.


Le terme " creator " utilisé par l'auteur est un titre divin. Aux premiers siècles de l'histoire de l'Église, on a mis en doute la divinité de l'Esprit ; certains la rejetaient et la combattaient. Le premier vers de l'hymne s'avère donc une profession de foi. Le Créateur a ce pouvoir de faire passer du chaos au cosmos, du désordre à l'harmonie, du flou à la précision. Dieu crée dans l'univers physique, - ainsi s'entend l'article de foi - mais également en nous, en moi. Un examen lucide et sincère m'amène à découvrir en moi un tohu-bohu, un chaos qui a besoin d'une mise en ordre : au plus profond de mon être surgissent des désirs inavouables, grouillent des tendances multiples qui s'opposent et m'écartèlent. J'y découvre en fait le meilleur et le pire... L'inconscient, mis à jour par Freud, se présente comme une forme de chaos. Et puis, ne retournons-nous pas quotidiennement à un stade chaotique ? La nuit où tout devient indifférencié, le sommeil avec le monde des rêves qui l'accompagne, tout cela se situe du côté du chaos. Voilà pourquoi les hymnes de Laudes, la prière du matin, chantent souvent les louanges du Créateur. Dieu crée toujours, tant dans l'ordre physique que psychologique ; en l'appelant, je reconnais, je confesse qu'il façonne jour après jour mon moi spirituel, que c'est Lui qui fait de moi une personne digne de l'amour de Dieu. Qu'il en soit loué à jamais !
Cette première strophe offre un condensé de toute l'histoire du Salut. La grâce s'avère quelque chose d'incréé ; on désigne par là la présence de Dieu dans l'âme. La Pentecôte, évoquée par l'appel " Viens ! ", réfère non pas à un événement du passé mais à un fait toujours en avant, à venir. Et le jubilé de l'an 2000 sera une PENTECÔTE ou il ne sera RIEN ! On demande d'être " emplis " de la grâce ; cette notion de " plénitude " me redit que Dieu n'accomplit rien à moitié ; avec Lui, un " oui " signifie " oui ! ". Dans cette veine, mon appel au Seigneur, " Viens ", se veut une invitation réelle, non pas conventionnelle comme le " Comment vas-tu ? " qu'on lance sans attendre de réponse ; il se veut également inconditionnel : a-t-on idée d'imposer des normes et des formes au Seigneur ? Tu donnes carte blanche à l'Esprit !

Toi qu'on nomme le Conseiller,
toi, le don du Dieu très-haut,
source vive, feu, charité,
invisible consécration.

Cette seconde strophe embrasse d'un coup d'œil le champ de la grâce, œuvre de l'Esprit en nous. Sont évoqués divers titres et noms attribués à l'Esprit ; Paraclet se traduit " Conseiller ", " Défenseur ", " Avocat ", " Soutien "... autant de fonctions et de rôles assumés par Lui dans l'histoire de l'Église et dans la nôtre. Il est " don de Dieu ", cadeau inestimable d'un Père généreux qui, non content d'avoir sacrifié pour nous son Fils, nous envoie, de concert avec Jésus glorifié, leur Esprit. Le feu et l'eau vive évoquent également des images courantes dans l'Écriture pour désigner l'Esprit saint et l'action divine en nous. L'onction réfère enfin à la marque laissée en nous par l'action divine : une consécration, une mise à part ; nous n'appartenons plus au monde, au profane ; nous sommes devenus prêtres, prophètes et rois avec le Christ.

Tu es l'Esprit aux sept dons,
le doigt de la droite du Père,
l'Esprit de vérité promis,
toi qui inspires nos paroles.

Cette troisième strophe éclaire l'aspect charismatique de l'action et de l'œuvre de l'Esprit. Il apparaît de plus en plus clairement dans les études récentes que les fameux sept dons, au lieu d'être des formes de la grâce sanctifiante, se situeraient dans l'ordre des charismes. L'expression " doigt du Père " renvoie à la puissance de Dieu qui accomplit des prodiges ; sur les lèvres de Jésus, elle désigne l'Esprit saint ; elle peut évoquer en nos mémoires la fresque de Michel-Ange au plafond de la chapelle Sixtine : le doigt du Père tendu vers l'homme pour lui donner force et vie. L'évangile de Luc évoque les promesses de Dieu à son peuple. Or, l'Esprit saint en résume l'ensemble et son octroi en constitue l'accomplissement parfait. Le dernier verset montre l'Esprit comme l'origine des charismes liés à la parole : enseignement, louange, parler et chant en langues, exhortation, consolation, prédication, prophétie...

Enflamme-nous de ta lumière,
emplis nos cœurs de ton amour,
affermis toujours de ta force
la faiblesse de nos corps.

On met ici en lumière l'action de l'Esprit en chaque personne. En quatre vers, toute une anthropologie est évoquée. " Sensus " réfère non à nos sens mais à l'intelligence, capacité de connaître que comble la lumière ; le cœur renvoie à la volonté, capacité d'aimer qui va goûter l'amour répandu en nos cœurs ; enfin le corps désigne la partie intégrante de notre être ; là suppurent nos plaies, saignent nos blessures et c'est là que s'opèrent les guérisons. De même que nous nous exposons au soleil ou à des eaux thermales, il y aurait lieu de nous exposer régulièrement, longuement à l'action de l'Esprit de Dieu, de nous offrir une pneumothérapie qui nous restaure en notre état originel.

Repousse l'ennemi au loin,
donne-nous ta paix sans retard,
sous ta conduite et ton conseil,
nous éviterons toute erreur.

Cette cinquième strophe évoque l'action de l'Esprit dans les diverses situations de la vie. Elle renvoie spécialement aux moments de luttes et de choix à faire. Le combat contre Satan, l'ennemi, n'a de cesse. On le voit dans l'évangile. On ne sera jamais assez prémuni contre la fascination du mal qui a plongé en nous ses racines depuis le premier péché. L'Esprit de conseil nous soutient pour opérer les bons choix, tant celui de l'option radicale (avec ou contre Dieu) que ces décisions ponctuelles qui forment la trame de nos jours. Le discernement est donné aussi bien à l'Église qui départage l'erreur de la saine doctrine, l'hérésie de l'orthodoxie, qu'aux personnes qui, dans la poursuite de leur existence, ont des orientations à prendre.

Fais-nous connaître Dieu le Père,
révèle-nous le Fils,
et toi, leur commun Esprit,
fais-nous croire en toi. Amen.

Cette dernière strophe célèbre l'Esprit dans la Trinité : on esquisse sa situation vis-à-vis du Père et du Fils ; on met surtout en lumière son action en nous : nous faire participer à la vie trinitaire. Il nous fait connaître le Père, non d'un savoir abstrait et théorique ; il nous amène plutôt à nous reconnaître comme enfants de Dieu. Il fait naître en nous le sentiment filial. Seul l'Esprit pourra de nos jours décaper l'image du Père et nous en révéler le vrai et si beau visage abîmé, voire caricaturé dans la culture présente et terni par de tristes événements de l'histoire moderne. Pourquoi ne pas espérer comme grâce du prochain jubilé la réconciliation de notre monde avec la figure du Père ? L'Esprit nous fait aussi connaître le Fils, non en nous révé-lant une " bonne " christologie mais en amenant chacun à le reconnaître comme son Seigneur et son seul Sauveur. N'est-ce pas l'une des grâces du Renouveau charismatique ? j
Le père Raniero Cantalamessa, né en 1934, religieux capucin, a été professeur et directeur du département des Sciences religieuses à l'université catholique du Sacré-Cœur à Milan et membre de la Commission théologique internationale de 1975 à 1981. Depuis 1980, il est le prédicateur de la Maison pontificale où il donne une méditation, chaque semaine de l'Avent et du Carême, devant le Pape, les cardinaux et évêques de la curie et les supérieurs généraux des Ordres religieux.


Magazine SELON SA PAROLE (QUÉBEC) traitant de questions reliées à la spiritualité, l'évangélisation, l'éducation de la foi et la vie en Église
Selon Sa Parole mai-juin vol. 26 numéro 3


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Dernière mise à jour 21 octobre 2000

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