Le désert, un lieu d'espérance
Jacques Corriveau

" Alors Jésus rempli du Souffle saint quitta le Jourdain. Le Souffle l'entraîna dans le désert " (Lc 4, 1).

Quel beau texte que celui que nous propose l'évangéliste Luc ! Un hymne à la liberté... et cet hymne porte et suscite, au delà des apparences, une formidable espérance, une espérance vivante.

Mais, je ne veux pas aujourd'hui éplucher les trois tentations que, tous et toutes, vous connaissez aussi bien que moi. Je veux simplement m'attarder sur cette marche vers le désert, vers ce lieu toujours inhospitalier et rébarbatif, un lieu d'où la vie semble absente, un lieu sans sources ni eaux vives, un lieu apparemment vide d'espérance.

Et nous serions pleinement justifiés de dire que le Souffle saint, en le menant au désert, conduit Jésus directement et irrémédiablement à la mort. Alors, comment saisir et comprendre cette expérience du désert ? Comment y déceler la tendresse émouvante et pleine d'ardeur du Père qui vient tout juste de déchirer le ciel pour lui crier : " Tu es mon fils, mon aimé, de toi je trouve ma joie " (Lc 3, 22).

Un jour, Yahwew invite Abram à tout quitter pour prendre la route vers un pays inconnu qu'il lui désignerait et lui ferait connaître en marchant. Il l'invite à se mettre en route sans connaître la destination autrement qu'en s'appuyant sur sa parole, qu'en lui donnant toute sa confiance et toute sa fidélité. Il a soif de son espérance.

Et Yahwew Dieu récidive. Dans un brasier ardent, il supplie Moïse et le presse de partir libérer, en son Nom, un peuple qui n'existe pas encore. Mais il lui promet qu'il le rassemblera et le mènera lui-même en un pays de lait et de miel, non sans les avoir laissés traîner dans la dèche et l'inconfort du désert pendant quarante ans. Comment y découvrir l'espérance ?

Pourtant, Yahwew Dieu a déjà invité les humains à chercher la vie, à la désirer de toute leur personne, de tout leur être, de toutes leurs forces, avec toute leur intensité et leur puissance.

Mais les apparences ont fasciné ; Adam et Ève ont choisi. Ils ont préféré ce qui leur semblait vrai, oubliant la parole du Seigneur. Ils ont fait le plein d'extériorité. Ils ont cru en la parole du serpent : ils peuvent maintenant connaître le bien et le mal, cohabiter avec eux, coucher avec eux, les pénétrer de toute leur science. Ils connaîtront désormais toute la Loi et le péché qu'elle démasque et éclaire par ses interdictions.

À leur suite, les hommes et les femmes de tous les lieux et de toutes les époques ont oublié l'amande de la vie pour lécher la pelure et sucer l'écale. Encore aujourd'hui, beaucoup trouvent leur joie à saliver devant l'écorce des plaisirs éphémères. Ils sont comme des aveugles rendus incapables de saisir l'essentiel car l'éclat et le miroitement des vanités ont brûlé leurs yeux. Ils sont comme des sourds incapables d'entendre et d'écouter la musique si douce des profondeurs de l'être, car le bruit tonitruant des clameurs à la mode du jour a trop vibré et a assourdi leurs tympans.

Et ils ne peuvent plus se contempler dans la transparence de leur vérité. Leur nudité les effraie et ils se sont cachés. Ils se sont cachés d'eux-mêmes et de l'autre devant eux. Dans le regard de l'autre devant eux, ils ne peuvent plus maintenant saisir et reconnaître le visage et la voix de cet Autre au-dedans d'eux.

Le paradis de leur cœur s'est fermé. Les personnes se condamnent à fuir leur propre intériorité devenue un lieu de peur. Devant la vie et la mort placées devant eux, elles ont choisi. Obnubilées par leurs sens et par leur désir de tout savoir, elles voulaient saisir l'Insaisissable, retenir dans le creux de leur main toutes les eaux vives de la Source. La vie gardée pour soi les a empoisonnés et s'est perdue car " qui veut garder sa vie la perd ; et celui qui la perd en la donnant la gagne " (Lc 9, 24).

À l'écoute du Souffle saint, Jésus entre dans le désert. Il entre là où il se dessaisit de toute sa vie, de toute sa parole, de toute sa volonté, de toute sa puissance pour faire la volonté de Celui qu'il appelle tendrement " Abba, Père ".

Le bien-Aimé du Père proclame qu'il vient faire la volonté de Celui qui l'a envoyé pour que s'étende par tout l'univers son Règne d'amour, de tendresse et de miséricorde ; pour que, par lui, tout aveugle sorte de son aveuglement, les sourds entendent et les boiteux bondissent de joie ; pour que toute langue proclame que Yahwew est Seigneur et Père.

À Gethsémani, dans ce jardin devenu désert, dans le désert de la croix, malgré les peurs et l'angoisse, fort de son espérance et de sa foi, Jésus a voulu nous apprendre le chemin de la joie. Il a crié sa détresse puis, il s'est abandonné plein d'espérance à ce Père qui lui avait proclamé son amour : " Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? (...) Dès la sortie du sein, je fus remis à toi ; dès le ventre de ma mère, mon Dieu, c'est toi ! (...) Mais toi, Seigneur, ne reste pas si loin ! Ô ma force, à l'aide ! Fais vite ! (...) Tu m'as répondu ! Je vais redire ton nom à mes frères et te louer en pleine assemblée " (Ps 22, 2a.11 ; 20.22c.23).

Jésus prend la route la plus difficile qui soit, la route du cœur, le chemin des profondeurs, le lieu fondamental de la rencontre avec Dieu : le seul qui rende capable de découvrir tous les autres lieux de Sa présence, le lieu de l'alliance et des épousailles, le lieu de la communion.

Avec le psalmiste, Jésus redit : " J'ai demandé une chose au Seigneur, et j'y tiens : habiter la mai-son du Seigneur tous les jours de ma vie, pour contempler la beauté du Seigneur et prendre soin de son temple " (Ps 27, 4).

Voilà et voici qui justifie et nourrit mon espérance et sa force en mon cœur : le Père m'attend sur la colline pour que je vienne me jeter dans ses bras ; il espère que je me colle sur sa poitrine pour que retentissent dans la mienne et par la mienne tous Ses cris de joie, de paix, de miséricorde, tous Ses désirs de pardon, de fécondité. Il veut remplir mes mains de ses germes de vie et de liberté pour que j'en laisse tomber tout au long de mon chemin et qu'ainsi je monte, avec tout son peuple, vers la vie nouvelle.

Et Jésus, perché sur la colline, les bras largement ouverts, m'attend. Il m'attend pour que son Souffle échappé me pénètre et me don-ne la vie en abondance. Ainsi, habité et mû par son Souffle, je vivrai.

Alors je serai sa Gloire car j'accueillerai sa vie et son visage transfigurera le mien. Par le témoignage de ma vie, d'autres s'ouvriront à lui et vivront.

Alors ma lumière resplendira ; elle poindra comme l'aurore et mon rétablissement s'opèrera très vite. Ma justice marchera devant moi et Sa gloire sera mon arrière-garde. Alors j'appellerai et le Seigneur répondra, je le hèlerai et il dira : " Me voici ! " (cf. Is 58, 8-9).

Que la prière nous soude encore davantage les uns aux autres. Ensemble, puissions-nous continuer de grandir et de cheminer vers Celui qui continuellement nous invite à nous tourner vers lui, à nous laisser travailler par sa grâce et par le don de son amour.

Que le Seigneur nous bénisse ! Que sa grâce nous accompagne ! Dans notre désert, il fendra le rocher et en fera surgir l'eau pour que nos lèvres abreuvées chantent sa gloire. Sûrement, il réchauffera nos nuits et rafraîchira nos jours.

Belle Pentecôte !

Magazine SELON SA PAROLE (QUÉBEC) traitant de questions reliées à la spiritualité, l'évangélisation, l'éducation de la foi et la vie en Église
Selon Sa Parole mai-juin vol. 28 numéro 3


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Dernière mise à jour 10 décembre 2002

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