Jose' Ensch
JOSE ENSCH

J.E.P1

1- PrŽface pour les pomes de JosŽ Ensch dans "Le profil et les ombres"

(Gisle Prassinos)

J.E.P3

"Jose' Ensch"

(photographed by Ly Lan)

JosŽ Ensch, ˆ quinze ans, Žtait dŽjˆ pote. Mais pour elle seule, elle ne montrait pas ses vers. Ce fut seulement aprs trois annŽes d'amitiŽ qu'elle osa m'en proposer ˆ lire, tant elle doutait de son talent. Mes compliments ne l'ont pas convaincue, je crois. Pourtant la poŽsie lui est si vitale, qu'elle a continuŽ d'Žcrire, de plus en plus prolifique, malgrŽ le peu de loisir que lui laisse l'exercice de son mŽtier. Car elle est professeur de franais, elle aime les jeunes et sait se mettre de plain -pied avec eux. C'est avant 1984 que bon nombre de revues franaises et Žtrangres (elle a ŽtŽ traduite en plusieurs langues) la dŽcouvrent. A cette date-lˆ, la Galerie Simoncini-Editeur, de Luxembourg, publie L'Arbre; en trs beau recueil imprimŽ sur vŽlin d' Arches et ornŽ d'illustrations de Mario Prassinos. L'annŽe suivante dŽjˆ, l'Institut Grand Ducal lui demande des textes pour sa collection. Ils para”tront sous le titre Ailleurs c'est certain.. Ds lors, on ne cesse de lui rŽclamer des pomes.

Fluviale est JosŽ Ensch et tellurique, dans ce sens qu'elle pose son lecteur devant un vaste paysage. Le temps de l'intimitŽ qui suspend, elle ne s'y arrte pas ou peu. Dans ses vers, les images se pressent, riches, bondissantes, parmi colonnes, marbres et ruines, lesquels ne sont pas nommŽs pour autant. C'est le climat, la grandeur, l'allant du pome qui les fait surgir, si ce n'est-™ paradoxe!- la simplicitŽ, sur une table, d'un verre d'eau, d'un morceau de pain, d'une pomme.

Souvent, colre et rŽvolte, plainte, regret, souffrance, tressent ses lignes, mais la nostalgie, partout en puissance, piquŽe alors d'un espoir timide, vient presque toujours les conclure. Nostalgie d'une Žpoque... d'une saison , comme aussi bien l'enfance...d'un instant... d'un lieu ou d'un amour, ceux lˆ qui, masquŽs, ont parcouru le pome. Les trois premiers sont irrŽversibles mais peut-tre les autres nous seront-ils rendus, si toutefois ils ne font pas dŽjˆ partie d'un ailleurs sans accs possible.

Et rŽvolte, douleur, regret, pratiquement les ŽlŽments ou s'y intgrent. La terre et ses flancs, la mer sutout avec ses "lavandires", "son grand dos de laine argentŽe" ; le ciel enfin dont le Ma”tre, "pointu dans l'haleine du jour", impose tour ˆ tour des lumires variŽes et des ombres changeantes, jusqu'ˆ la nuit, "nuit si simple qu'elle n'Žtait qu'elle mme". Tels sont les fleuves de JosŽ Ensch. Elle ne dŽdaigne pourtant pas les petits ruisseaux qui s'arrondissent autour d'un bref message. Lˆ, bridant ˆ plaisir l'opulence des images, elle s'en tient ˆ la rigueur, l'air de dire: "Ce n'est rien".

Gisle Prassinos
("Le profil et les ombres" - JosŽ Ensch, Libraire Bleue, Mars 1995, p.7-8)

2- Ces voix graves

J.E.P2

"Go'c la(.ng thinh"

(photographed by Ly Lan)

Ces voix graves en cadence vers les fonds o glissent des regards fermŽs sur le printemps, les sables qui bordent les tristesses, les regards fermŽs depuis si longtemps que des coraux ornent leurs paupires et voyagent avec elles- et des lumires y naissent entre les cils tant les vagues qui les portent sont en Žmoi...

Ces voix graves en silence comme de grands regards, toutes seules sous les pressions des plis, des courants, leurs fronts qui courent sur les portŽes et ne se lvent ni n'abdiquent; ces fronts ˆ l'immuable poids... Et si seules, les voix que les poumons illuminent parfois, ces Žclairs sur les filets qui les cernent, les rets violets de leur peau que le sel assagit et dŽvore lentement...

Ces patientes voix qui chantent en ells-mmes sur les draps que les vagues souvent veulent gonfler, ces yeux qu'aucun ciel n'a gorgŽ, ce silence de souffle, ce coffre du vent, ces meubles Žpars sous le corps des poissons... et leurs nageoires distraitens Žmergent ˆ peine du courant...

Alors les yeux de l'enfant regardent le silence, et le silence se tourne vers lui avec la patience des choses tombŽes, ˆ peine disparues, pointant un peu leur prŽsence de traces dans les cristaux du sel, leurs ailes peut-tre...

Et le corps de l'enfant reoit les mains de la mer, ses jambes de gŽante, ses trombes et ses germes qui soulvent la face du ciel, les saisons, leurs voyages ŽtonnŽs...

Ces graves voix sans retour, cette volŽe de gradins, de marches, d'Žchelles et de cordes que la lumire embrasse parfois comme fait le feu dans les basses- cette histoire sans fin, son silence de source ŽchevelŽe...

RŽcurrentes voix sur les langues avides du vent, billes bleues aux creux des virides lancŽes, ™ voix qui sombrez dans le corps de l'enfant, la dŽmesure qui le conut.

("Le profil et les ombres" - JosŽ Ensch, Libraire Bleue, Mars 1995, p.55-56)

Les cercles

DŽshabille tes yeux car l'heure est venue
les carrires sont Žteintes dŽjˆ
et les joncs portent les lueurs dernires

Les montagnes, elles, vont ˆ reculons comme des cathŽdrales
™ miroirs de vitesse vers le rien dans ton dos

La nuit sera de feuilles ˆ mme la suie qui se pose comme des papillons sur la peau

™ leurs traces Žperdues!

N'aie crainte des genoux couronnŽs
de ces tables qui te font trembler comme tremblent les villes aux heures
suspendues

Si doux est le vert des prairies, si douce la mer perdue au loin
mais la vitesse t'en Žloigne tel un Žclair sur ses bras menus longeant tes
voyages

La tombŽe des soirs en ces moments
offusque tes images, et tu voyages
dŽpouillŽ de tous les soleils, sous le signe du silence

N'aborde l'image des vaisseaux
ils habitent ton thorax
tes poumons trop Žtroits
tes c™tŽs flŽes par les chocs des sicles qui ruent
contre ton corps quand s'absente la pensŽe

ï trop long temps dans les rets des pcheurs
tant™t poulpe gŽant
tant™t poisson trop fin entre ses feuilles d'Žcailles cornues
menu fretin, nombre de gloses faisant oublier le texte de la mer
Sa prose altire sous les paupires des hauteurs
qui ne descendent sur elle que dans les trombes
ses vaisseaux bleus et verts de sang, leur blancheur ŽclatŽe

Nuit, feu de paille
nuit dans les cendres ŽtalŽe
poussire de deuil ˆ palper
ivresse lucide dans le noir

ï toi sur la feuille, toi de nulle part
sans visage ni corps
prŽsence d'ailleurs et de mort
face et prŽtexte d'infini
Le bleu fait office de mŽmoire

Il faut assister la lumire et sauter les arrts
Les rouges lumires s'Žloignent
elles ne restent que sur la toile
o des vierges nues peuplent les quais

L'hiver fut de pain d'Žpice et de deuil
d'oubli suffoquant sans rŽpit
d'Žmergences sans mots
dans les cris

Renoncements et fureurs
renoncules, alinŽas
Venez nŽnuphars et roseaux
que les strophes se meuvent
rŽgŽnŽrŽes peut-tre
aux sourires de source et de mer

Or si les cercles te perdent
la cible te veut
sa noire pupille hors de tout regard
son oeil ouvert
et toi, ˆ l'iris ensablŽ
tu assistes ˆ la mise au jour d'une conscience

La ville a des jambes noires et serrŽes
Oublieux et superbe est son coeur
avec les balustres de riches faades
et les lucarnes peuplŽes de bouquets misŽrables
™ violettes!

AnŽmones offertes ˆ la mourante
livres vŽcus jusqu'ˆ la trame
et cette neige qui opressait le coeur
jusqu'ˆ l'absinthe tournant en plein dans le ciel d'hiver

Ne pas s'Žtonner du mŽlange des saisons et des morts
Ne pas gŽmir
Ni fleurs, ni couronnes
et la page se tait

Savez -vous, ™ morts
les tapis usŽs de vos pas
les meubles portant la trace des doigts ...
Gourds et agiles ˆ la fois
comme le vent sur les artes des hautes montagnes
Page tournŽe et braise dans les miroirs
Les attelles maintiennent les poignets
et les doigts retiennent les mouchoirs brodŽs

ï neiges d'antan
leur urgence dans le coeur
le blanc, jamais, ne t'aura rŽpondu
sinon dans l'enclos o dŽcouvrir son nom d'ŽternitŽ
le profil qui l'honorait dans l'unique image

La bouche du vin est grande ouverte
et tu reois de plein fouet
ses lustres de bijoux aux lents poisons...
Le Rhin y coule toujours...

Mais comme sont rŽtives les lumires
comme la lune est absente...
Or la vitesse reprend son essor
maison pressŽe de trouver son ailleurs
son assise, sa demeure
la glycine allant fleurir peut-tre

DŽsabille tes yeux et cueille le temps
les bagues se dŽtachent des doigts
comme des messages de mensonges.

JosŽ Ensch (inŽdit)

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