Aux Commandes de la 22ème Division d’Infanterie
(Selon le Colonel Le Khac Ly, Chef d'Etat Major)

J'ai eu plusieurs conversations téléphoniques avec Colonel Le Khac Ly, qui a servi en tant que Chef d'Etat Major (EM) de la 22ème Division d’Infanterie (DI) sous le commandement du Général Hieu en 1966-1969. Je livre ici en vrac, ses quelques réflexions concernant son ex-chef.

Nous nous connaissions depuis 1957, quand le Général Hieu était encore le Chef du 3ème Bureau du 1er Corps d’Armée (CA), et moi, Chef du 3ème Bureau de la 1ère DI. Nous avons dû batailler ferme à l’époque pour contenir et arbitrer les altercations devenues très fréquentes entre nos deux patrons respectifs, le Général Tran Van Don, Commandant du 1er CA et le Général Ton That Xung, Commandant de la 1ère DI.

À ma sortie de l'US Army College of Command and General Staff, je me suis présenté au QG du 2ème CA à Pleiku. De l'anti-chambre, je vois le Colonel Hieu sortir du bureau du Général Vinh Loc. Il me serre la main et dit: "Le Général peut vous voir maintenant." En serrant la main de Vinh Loc, celui-ci laisse échapper une crie de douleur, non pas parce que je l’ai serré trop fort, mais parce qu'il souffre d'une maladie chronique rendant sa main fragile et très sensible au moindre contact. Il m'informe qu'il vient de nommer le Colonel Hieu comme commandant de la 22ème DI et que ce dernier a expressément demandé que je sois son Chef d'état-major.

Peu de temps après mon arrivée à la 22ème DI, le Général Vinh Loc souhaite que je sois candidat pour la députation en tant que représentant d'une province du Centre. À cette époque, Thieu et Ky sont en lutte pour s'emparer du pouvoir politique. Il m'envoie un télégramme m'ordonnant de faire le nécessaire afin d’entrer dans la course et me promet d’une enveloppe assez conséquente pour couvrir les frais de campagne. Cependant, le Général Hieu l’intercepte et ne me le retransmet pas. Quand la limite de dépôt de candidature est passée, Vinh Loc me convoque et me réprimande pour n'avoir pas agi à temps. C'est à ce moment-là que je me suis rendu compte de la «supercherie» de Hieu. Il n'a pas voulu que je change de carrière. Il m'a dit: "Je crois que la carrière militaire vous convient mieux que celle de la politique." Même à ce jour, je remercie encore le Général Hieu de m'avoir guidé judicieusement dans le choix de ma vie à un moment crucial. Le milieu militaire m'a permis de développer entièrement mes capacités. Si Thieu n'a pas rejeté trois fois consécutives aux propositions de mon avancement, j'aurais été Général comme tout un chacun.

Quand le Général Tri demandait à Hieu de prendre les rênes de la 5ème DI, tout le monde pensait qu'il amènerait son Chef d'EM avec lui. Mais ce dernier m'a confié: "Ce serait plus valorisant pour vous de rester à la 22ème DI, parce que si nous la quittions ensemble, tous les efforts que nous avions mis pour améliorer les capacités de combat de cette Division partiraient en fumée. Vous connaissez à fond cette Division mieux que quiconque. Une fois que je ne serai plus là, essayez de l'entretenir et de l’empêcher de retomber dans la carence d’antan." Malheureusement, je n'ai pas réussi à accomplir son souhait parce qu'une autre équipe a pris les commandes et ensuite, l’a modelé à leur guise, pour le pire.

Le Général Hieu vivait comme un acétique, ce qui m'a fait croire qu'il était un moine défroqué. Laissez-moi vous donnez un exemple: il prenait les repas toujours avec nous au mess et j'avais l'habitude de m'asseoir à côté de lui. Un jour, j'ai été choqué à la vue d'une mouche morte flottant dans son bol de potage. Je paniquai car étant chef d'EM, j'étais aussi responsable de la cuisine. Ce qui se passa ensuite fut ahurissant, Hieu retira calmement la mouche à l’aide de ses baguettes, la déposa à côté de son bol et continua à consommer le contenu comme si rien ne s'était produit, sans émettre aucun plaint, aucune reproche.

Dans la même sphère de pensées, je ne l'ai jamais vu réprimander ses domestiques. Si par malheur, ses enfants tombaient par terre et se blessaient aux genoux ou à la tête, à cause de leur négligence, il se hâtait de prendre l'enfant blessé dans ses bras et s'en occupait de les soigner sans mot dire, même dans le cas d'un de ses fils qui se blessa à la hanche et qui boita le reste de sa vie.

Le Général Hieu était incorruptible. J'ai une fois dit aux journalistes que la plupart des officiers de haut rang n’avaient que l’apparence d’intégrité. Je les ai fourni des preuves irréfutables, et comme résultat, ils ont ajouté le nom de Hieu en cinquième position, parmi le quarteron de Généraux honnêtes (Thang, Thanh, Chinh, Truong).

Contrairement à un bon nombre de Généraux qui veulent que les gens les voient agir en parfaite honnêteté, le Général Hieu l’a toujours agi en toute humilité. Voici un aperçu: Un beau jour, le Lieutenant Hien, responsable de la compagnie de garde du QG de la 22ème DI, de sa propre initiative, fait livrer un réfrigérateur et un poste de télévision à la résidence du Général. Madame Hieu est toute contente de recevoir ces articles coûteux dont sa famille ne pourrait pas financièrement se permettre. Le soir, au retour de son mari, elle les lui présente avec une joie non retenue. Hieu demeure pensif et ne montre rien de son mécontentement. Le matin suivant, il fait venir le Lieutenant Hien pour un entretien privé. Il dit: "je sais que votre solde d’officier ne vous permet pas de faire cette folie. Ne l’aviez vous pas faire main basse dans la caisse de votre compagnie par hasard? Je vous invite de rapporter ces deux appareils au PX et de restituer l'argent à la compagnie." A part le Général, Hien et moi-même, personne n'était au courant de cet incident. À la promotion régulière suivante, le Lieutenant Hien n'a nullement été souffert de cette mésaventure.

Le Général Hieu a excellé dans différents domaines, y compris au jeu de mah-jong. Une nuit, tout l’état major se repose dans un campement, après une journée de travail bien remplie. Un officier ami m'enseigne au jeu de mah-jong. Hieu passe par là et aperçoit que nous somme en train de le pratiquer. Cependant il ne dit rien et continue à aller se doucher. À son retour, il s'approche de notre table, s'assoie confortablement, et procède à nous montrer plusieurs mouvements astucieux de ce jeu compliqué. Après quoi il se lève et nous dit: "Il est bon de savoir jouer au mah-jong, mais il faut faire attention de ne pas devenir dépendant: on pourrait y perdre sa vie."

J 'admire particulièrement deux Généraux. Le premier est le Général Do Cao Tri, parce qu'il était téméraire. À ceux qui expriment la crainte pour sa vie en le voyant s'aventurer de trop près du feu, il leur disait: "Au champ de bataille, on doit avancer coûte que coûte. Si les balles vous atteignent, vous devenez un héros aux yeux de tous. Et si elles vous manquent, vous êtes également considéré en tant que tel."

Le second est le Général Hieu parce qu'il menait des combats intelligemment. Un autre encore était le Général Lu Lan pour les mêmes raisons, cependant à un échelon inférieur de celui de Hieu.

Le Général Hieu rend plus facile le travail de son chef d'EM en simplifiant ses tâches. Il porte toujours un petit carnet sur lui. Chaque fois qu'il donne des ordres en opération, il les note soigneusement. De retour au QG, il m'informe de ses récentes décisions qu'il vient de faire, et me fait envoyer la confirmation écrite de ces ordres aux différents commandants. En faisant ainsi, il évite la situation dans laquelle "la trompette sonne d’un côté et les tambours battent de l’autre». La plupart des Généraux préfèrent donner des ordres sur le champ de bataille afin d’assouvir leur autosatisfaction. Et une fois de retour au QG, ils rentrent directement chez eux pour manger puis se reposer sans prendre la peine d’informer leur chef d'EM des ordres qu'ils ont donné la veille aux commandants opérationnels. Quand ces derniers les reçoivent par écrit, ils appellent le chef d'EM tous confus: "Qu'est que c'est? Vos ordres contredisent ceux du Général!"

Il va sans dire que non seulement le Général Hieu était excellent en stratégie, mais il était également un tacticien génial. En prenant les rênes de la 22ème DI, il m'a confié: "Mon vrai rôle n'est pas celui d'un tacticien divisionnaire, mais plutôt d'un stratège dans la conduite de son état major." Il était modeste en disant ainsi. Il a appris très vite, et en un temps record, était devenu un tacticien hors pair d'une division.

Une comparaison serait impossible entre le Général Ngo Quang Truong et Hieu. Dans une réunion au QG du 1er CA, les officiers s'appliquent à présenter l'un après l'autre toutes les options tactiques au Général Truong pour qu'il puisse faire le choix. Après les avoir écouté, ce dernier demeure silencieux pendant un bon moment Puis subitement, sans un mot, se lève et s'en va vers la chambre adjacente où ses conseillers américains l'attendent. Après les avoir consulté, il retourne pour donner des ordres conformément à l'avis de ces derniers, sans tenir aucun compte de ceux présentés par son propre EM.

Je ne suis nullement étonné d'apprendre que des officiers de haut rang ayant connu le Général Hieu sont avares de confidences à son propos. En réalité, ils sont encore sous pressions et même des menaces provenant de quelques groupuscules clandestines. Voici un cas spécifique concernant Pham Huan. Quand il publiait son premier livre, il m'a affirmé formellement que le Général Pham Van Phu n’était seulement apte qu’à l’échelon de Régiment. Et quand il avait reçu des intimidations, lui forçant à contredire ce qu'il avait écrit. Ainsi, dans son second livre, il s'était retourné complètement contre moi avec des accusations qui me laisse pantois et cette fois, le Général Phu a été louangé à outrance…

Le Général Toan m'a demandé de vous dire qu'il attende de vous un appel ou une lettre afin qu'il puisse parler de la mort tragique de Hieu. Il a dit que pas mal de gens l’ont questionné sur ce sujet, mais qu’il préfère se taire pour l’instant. Par contre, si le frère de Hieu le souhaite, il est disposé à parler.

J'ai rencontré le Général Hieu deux jours avant sa mort controversée. À la suite de la débâcle du 2ème CA aux Hauts Plateaux, je me suis rendu au 3ème CA lui rendre visite. Après m'avoir enquis de la péripétie du 2ème CA dans son repli catastrophique, Hieu parle de la défense qu'il est en train de concevoir pour endiguer la progression de l'ennemi. Il est de très bonne humeur comme d'habitude.

Je regrette que le Lieutenant Colonel Vinh Ho, l'ex chef du Bureau de Renseignement du 2ème CA (du Général Toan), soit déjà mort du cancer. Autrement, je pourrais lui demander plus de détails, parce que le jour de la mort du Général Hieu, il était présent au QG du 3ème CA, dans l’attente d’être reçu par Toan. Il a entendu non pas un, mais deux coups de feu.

Nguyen Van Tin
31 juillet 1999

Révisé le 13.07.2004

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