Le Programme de Pacification

Au moment où le Col. Hieu prenait en charge la 22ème DI, les forces VN et US étaient en train de mettre en pratique la tactique "chercher et détruire" l'ennemi, une initiative du Gén. Westmoreland. Cette tactique ne s'avérait pas payant, parce que les VC exerçait la guérilla, ils ne se sont montrés que quand ils étaient en surnombre: par conséquent, Hieu avait du s'adapter à la situation réelle en transformant cette dernière en "Attirer et anéantir l'ennemi" comme c'est démontré dans l'opération Dai Bang 800. En 1968, après le Tet, prenant le relais de Westmoreland, le Gén. C. Abrams a opté pour une autre méthode "Nettoyer et occuper", Il consistait à pourchasser les VC hors des contrées dont extirpés de la population, ensuite de confier ces territoires conquis aux mains des forces Régionales et Auxiliaires. Cette seconde stratégie s'intitulait en outre, le programme de pacification et de développement.

La 22ème DI et le Programme de Pacification

Hieu a pratiqué et réussi ce programme d'une manière satisfaisante dans le périmètre confié à sa division. Nguyen Nho écrit:

"En 1966, le Gén. Hieu, commandant de la 22ème DI m'a assigné comme son attaché de presse. Après un an à son service, j'ai été muté à l'académie militaire de Dalat. Ayant passé très peu de temps auprès de lui, et n'étant que S/Lieutenant possédant pas assez bagage de connaissances, je regrette aujourd'hui de ne pas m'en souvenir en détail de ces fameuses batailles concoctées et livrées par le Gén. Hieu. Mais, une chose est certaine, c'est que dès sa prise en main de la 22ème DI, la pacification de la 22ème zone tactique a obtenu un résultat probant. Chaque matin, en lisant les nouvelles au 3ème bureau, je constatais que nous contrôlions chaque jour un peu plus de villages et hameaux."

Les bons scores obtenus par Hieu n'étaient pas les fruits du hasard. Ils émanaient de sa vigilance vis-à-vis du potentiel de combat des unités Régionales et Auxiliaires, et pour la parfaire, ils les a encadré et envoyé leurs cadres au centre d'instruction de Phu Tai afin de les former, et en 1969, Hieu a réussi à confier à ces unités la responsabilité sécuritaire de 90 % du territoire, et du coup plusieurs bataillons régulières furent libérés pour se consacrer à des tâches plus importantes, à savoir les offensives mobiles.

Le Col. Trinh Tieu raconte que Hieu a eu des altercations avec le commandant de l’US I Field Force à propos de l'organisation commune ayant rapport avec les unités employées dans le programme de pacification, comme suit:

Pour préserver l’initiative de l’armée d’un état souverain, Hieu s’est insurgé contre le chef de l’US I Field Force à Nha Trang, ce dernier avait de son propre chef, ordonné à la 22ème DI de fournir un régiment sous commandement d’un colonel au service d’un capitaine, chef de district durant une opération de soutien faisant partie de la campagne de pacification. Cette décision contre-nature a créé un grand désordre, au point où le Gén. Lu Lan, Commandant du 2ème CA a dû s’enrôler dans le rôle de l’arbitre.

Malgré ce litige, le Gén. Larsen a su rester beau joueur quand il rédigeait le compte-rendu reconnaissant des actions bénéfiques obtenues par la 22ème DI et aussi le bon leadership de Hieu; ce rapport a été adressé le 11/08/1967 au Secrétaire de la Défense US:

15. La 22ème DI a participé activement avec la 1ère Division de Cavalerie US pendant les 10 mois passés, et a obtenu d’excellents résultats, notamment dans la province de Binh Dinh. Les efforts continuels et le soutien efficace du commandement vietnamien ont été deux éléments essentiels, créant ainsi un facteur d’encouragement vis-à-vis des chefs US ayant participé dans cette campagne mixte.

16. [...]

17. La Zone Prioritaire de Développement National qui a obtenu le plus de succès fut Binh Dinh, considéré il y a deux ans comme étant totalement sous la mainmise des VC, hormis la cité de Qui Nhon. Aujourd'hui cette espace abrite 500 000 âmes.

18. Depuis 2 ans, la province de Phu Yen a été la plus apte au développement. Jadis, les VC contrôlait d’environ 75°/° de la surface cultivable et 80°/° de la population, en 1965. Désormais, presque la totalité de son territoire est placée sous l’autorité gouvernementale. L’un des documents, récupérés de l’ennemi, confirme que depuis 2 ans, leur contrôle de population a chuté, de 265 000 à seulement 20 000 individus.

La 5ème DI et le Programme de Pacification

Quand le Gén. Tri lui confia la 5ème DI en 8/1969, Hieu, à cette époque avaient déjà acquis assez d’expériences concernant la tactique de pacification, ces connaissances étaient le fruit de ces trois années passées à la tête de la 22ème DI. C'est pourquoi le Gén. McAuliffe s’est montré admiratif devant sa sagacité pendant les discussions en tête-à-tête à propos de ce programme.

"Ensuite, le Général Hieu revient au programme de pacification. Il dit que les opérations sont faciles à exécuter, simpliste pour un militaire. En revanche, la pacification est plus complexe. Evoquant les recommandations du Gén. Tri, il pense que la 5ème DI devrait s’éloigner des zones déjà pacifiées laissant la responsabilité sécuritaire aux troupes régionales et ses milices. Et prenant l’exemple d’un poing enfoncé dans un aquarium; d'emblée, les poissons s’écartent puis s’éloignent autant qu’ils le peuvent; mais évidemment, dès que le poing se retire, ces derniers ne se privent pas de réoccuper leurs positions initiales. Cette comparaison est une évidence, s’agissant des VC qui s’insèrent dans la masse populaire, cela veut dire que dès le premier signe de retrait des forces régulières VN et US, l’ennemi reprend aussitôt sa position habituelle. Il a déjà évoqué ce phénomène récurrent auprès des chefs de district ainsi qu’aux chefs de village, et le scepticisme est grand chez eux. La plupart se sont résigné à l’idée de voir repartir un jour les unités régulières pour se réinstaller loin des bourgs importants. Selon lui, la province de Binh Dinh possède assez de troupes régionales, mais ceux-ci devraient évoluer et devenir plus combatives, et elle aurait besoin d’un bon coup de main de la part des unités régulières (VN et US) environnantes afin de repousser encore plus loin les intrus VC. Et c’est seulement avec cette condition sine qua non, qu’elles pourraient assurer au mieux la quiétude de la population. Ainsi, il croit qu’il a le devoir de surveiller de près l’évolution des ces troupes d’appoint, en les soutenant et en les fortifiant de façon adéquate. Je (McAuliffe) lui assure que nos idées se convergent. De sa part, il considère que cette application est délicate, surtout quand il doit se conformer aux directives du Gén. Tri."

"En allant un peu plus loin, il constate de l’étroitesse d’esprit de certains chefs de district. Pour eux, le plus important est ce qui concerne leurs propres territoires, ils ne font attention aux activités militaires que quand celles-ci confortent leurs statistiques et qu’elles soient favorables à leurs carrières. Le Gén. Hieu insiste que malgré tout, les chefs de bataillon (VN et US) continuent à collaborer quotidiennement avec ces derniers dont les fiefs faisant partie du périmètre opérationnel…Et c'est ce qui est entrain de se passer dans le district de Phu Hoa."

"Le Gén.Hieu enchaîne sur l’amélioration des actions combinées politique et militaire afin de contrecarrer plus efficacement l'ennemi. Il affirme que les commandants de Régiment/Brigade sont les plus qualifiés et qui ont des moyens, intellectuels comme matériels, pour mener à bien les opérations de grandes envergures. Dans le même sillage, il considère que les chefs de district et les responsables du quartier sont aussi capables d'assumer leurs rôles dans leurs périmètres respectifs. Donc, il confirme qu'il donnera des directives à ses commandants de régiment afin qu'ils se concertent quotidiennement avec les responsables des divers secteurs, y compris les commandants de brigade US avec la mission de trouver un plan judicieux visant d'une supervision du progrès des opérations anti-VC ainsi que les divers appuis profitables à ce programme. En outre, il prévoit des rencontres hebdomadaires avec le gouverneur de Binh Dinh en vue d'une coopération militaire dans laquelle se joignent également ses commandants de régiment et les chefs de brigade US présents dans le secteur de Binh Dinh, sans oublier les autres acteurs importants à savoir les chefs de district, secteurs. De ces réunions ressortiront des appuis plus efficaces vis-à-vis des troupes régionales, espère-t-il. Je (McAuliffe) lui apporte encore mon soutien à ce concept bilatéral, et lui promets que nous nous avancerions main dans la main."

En résumé, pour faciliter la mission pacificatrice qui encombre les forces régionales et les milices, Hieu prend très au sérieux la coopération étroite entre les unités régulières et ces dernières; pour cela, une directive de sa part recommandera aux commandants de régiment et bataillon à participer à une réunion hebdomadaire en présence du gouverneur et de ses chefs de district à chaque fois où ils opèrent sur les terres de ceux-ci; de même, il demande à ces derniers d'appuyer comme il se doit les troupes régionales si besoin est.

De plus, Hieu impose une nouvelle conception de manoeuvre de ces forces d'appoint, celle-ci sera calquée sur la méthode pratiquée par les unités régulières de la 5ème DI:

L'objectif à venir de la division est de pourchasser et éliminer l'adversaire. Les unités reçoivent chacune un défi à lever et elles doivent lutter jour et nuit pour atteindre leurs buts respectifs. Ce défi est aussi valable pour les subdivisions, celles-ci peuvent l'atteindre avec le concours de leurs forces régionales et paramilitaires. Si ensemble, nous poursuivons le même but (détruire l'ennemi), nous les écraserons dans un bref délai.

En effet, moins de six mois après l’arrivée de Hieu à la tête de la 5ème DI, l’ennemi a été stoppé net dans son élan et il était désormais impossible pour lui de mener les activités subversives dans les trois provinces de Binh Duong, Binh Long et Phuoc Long; simultanément, le QG du Front de Libération Sud-Vietnamien, privé de leurs soi-disant sanctuaires de Duong Minh Chau et Ho Bo, a dû s’en aller se réfugier dans le territoire Cambodgien. C’est pourquoi, dès avril 1970 les unités appartenant à la 5ème DI, ayant les mains libres, ont pu participer aux différentes opérations transfrontalières : Toan Thang 42,…, 46 conjointement avec les 3ème, 4ème CA et les unités US.

D'autre part, au moment où il prenait les commandes de la 5ème DI, les forces US étaient encore présentes dans la région placée sous sa responsabilité: la 1ère DI (stationnée à Lai Khe), la 1ère Division de Cavalerie (Bien Hoa) et le 11ème Régiment Blindé (Long Giao). Suite à la Vietnamisation de la guerre décrétée par le président Nixon en 9/1969, ces trois unités ont été déplacées vers l’arrière en vue d’un proche retrait. La 1ère DI (US), en partant à Di An, a cédé son QG de Lai Khe en faveur de la 5ème DI (VN) en 11/1969, le AG du 11ème Régiment Blindé se déplaçait à Bien Hoa en 10/1969, puis Di An en 7/1970. Par conséquent, ces forces alliées ont réduit leurs champs d’actions au fur et à mesure de leurs retraits respectifs. La 1ère DI (US) partait la première en 4/1970, suivi du 11ème Régiment Blindé en 3/1971, et enfin la 1ère Division de Cavalerie en 4/1971.

Pendant ce temps, le Gén. Tran Van Don faisait une inspection au QG/5ème DI afin de mesurer les conséquences de la Vietnamisation. Il relate dans Fall of South Vietnam: Statements by Vietnamese Military and Civilian Leaders des auteurs T.Hosmer, Konrad Kellen et Brian M. Jenkins (1980):

J’avais effectué une tournée auprès des unités opérationnelles afin de constater par moi-même l’évolution de la Vietnamisation de la guerre…Ceci s’est passé au QG/5ème DI. Je discutais avec le commandant, le Gén. Hieu, un soldat foncièrement intègre et aussi un grand général. Sa réponse m’a d’abord laissé perplexe et ensuite m’a ouvert les yeux. A ma question: Qu’en pensez-vous de la Vietnamisation? » Il secouait la tête »: Son application est impossible. » « Pourquoi? » Il m’explique »: Auparavant, ma division a réussi à protéger la zone grâce aux concours des deux divisions américaines, mais depuis leurs départs, nous nous retrouvons seuls à faire face à une mission identique. J’ai à ma disposition trois régiments dont chacun doit assumer le travail d’une division. Comment voulez-vous que je m’en sorte? » Hieu avait l’air affligé et cela m’avait secoué, car il était placide, très poli et il a fait ce qu’il a pu. Néanmoins, il m’a précisé que c'était une mission impossible: "Comment pourrais-je assumer la charge d’une plus grande surface tout en possédant moins d’effectif? ".

Quoi qu’il disait, la réalité était toute autre car malgré une multitude de difficultés provoquées par le départ des Américains, Hieu a non seulement su manoeuvrer à merveille ses trois régiments 7,8 et 9 pour coltiner les besognes laissées par ses alliés, mais de plus est parvenu à créer partout un climat plus serein et la zone a été mieux sécurisée qu’à l’époque où les alliés étaient sur place. La preuve, c'est qu’à partir de 1970 jusqu'au juin 1971, le jour où il quittait la 5ème DI, Hieu n’avait qu’une chose importante à faire c’était de pourchasser l’ennemi en déclenchant de multiple opérations transfrontalières Vietnamo Cambodgienne; il ne faisait plus attention à la capacité de nuire de l’adversaire à l’arrière. Ce fait établit de manière formelle que Hieu avait bien réussi dans son entreprise de pacification et de développement dans le territoire de sa charge.

On ne sait pas si Hieu avait eu l’occasion de s’entretenir avec le Gén. Abrams à propos de la stratégie clear and hold (nettoyer et garder). Cependant, Raymond E. D’Addario, son officier de sécurité, en découvrant le webpage du Gén. Hieu nous a adressé un courriel disant ceci:

J’ai eu l’honneur de connaître votre frère. Il était admirable et courageux. C’est pourquoi ses adversaires ont dû recourir à une combine abjecte pour se débarrasser de lui. J’ai été officier de sécurité personnelle du Gén. Creighton Abrams. Je peux vous assurer que mon chef avait une très haute estime envers votre frère et il ne manquait pas d’éloges sur l’intégrité, le sens de l’honneur et la vaillance du Général Hieu.

Nguyen Van Tin
24.02.2005
Traduit par Thach Ngoc Long

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