Troisième Enonciation

(Cette lettre émane du Général de Brigade Le Trung Tuong, Chef d'Etat Major du 3ème Corps d'armée, dans laquelle il parle de la mort du Général Hieu.)

Saigon le 26/5/2002

Cher Tin,

J'ai reçu ta lettre par l'intermédiaire de Su; je m'efforce de te répondre. Bien que les événements se soient passés 27 ans auparavant et que je m'approche de mes 80 ans, ils demeurent néanmoins encore vivaces dans ma mémoire, ce qui me permet de les rappeler clairement afin de répondre à ta demande.

Hieu a été un bon ami à moi depuis les temps à Hue puis à Saigon, nous nous croisions souvent dans de différentes affectations. Comme un proche ami, chaque matin, midi et soir, nous prenions nos repas ensemble après les heures de travail.

Hieu adorait à bricoler les pistolets. Il était un champion de tir de cette catégorie d'arme quand il était au service du 1er Corps d'armée (CA). Il modifiait toujours le dispositif de la gâchette de ses pistolets afin d'obtenir plus de rapidité de détente pendant les exercices aussi bien qu'aux concours.

Je me rappelle du jour où cet incroyable événement s'est survenu comme tu le sais déjà, Hieu vint dans mon bureau après une mission pour m'inviter à aller manger ensemble. A ce moment-là, j'étais trop occupé avec la paperasse et lui disait que dès que j'aurai fini de lire les documents officiels j'irai le chercher chez lui pour ce dîner. Il retourne à son bureau, qui se trouve à environ 30 mètres du mien.

Environ un quart d'heure après, un coup de feu s'est retentit, les subalternes de Hieu se ruent dans mon bureau et m'annoncent que cette détonation provienne du bureau de Hieu. Je donne immédiatement l'ordre d'appeler la Prévôté Militaro-Judiciaire de venir pour l'ouverture de la porte et d'entamer l'enquête. Après quelques minutes, les prévôts militaires arrivent; ils ouvrent la porte et constatent que Hieu s'allonge près de sa table de travail, un pistolet à ses côtés. La balle a transpercé sa tête, la sérieuse blessure a causé sa mort ... Par la suite la Prévôté Militaro-Judiciaire et sa consoeur de Sécurité rédigent le rapport d'enquête. A partir de ce jour jusqu'au 30 avril, la situation dans le III CA demeure chaotique jusqu'à l'écroulement complète du Sud Viet Nam, l'Armée se disperse, bon nombre de gens ont quitté le pays; quant à moi, au dernier moment j'ai été pris, puis incarcéré pendant 13 ans dans les camps de rééducation.

Comme tu peux le constater, ce sont là les éléments essentiels dont j'essaie de les faire revenir à la surface et de te les rapporter.

Permets-moi de m'arrêter ici. A bientôt. Portes-toi bien et sois heureux et je souhaite simplement que ta famille prie toujours pour la paix de l'âme de Hieu et qu'il se repose entre les mains de Dieu.

N.B.: La vie a totalement changé aujourd'hui, correspondons dans l'amitié et ne mentionnons pas les grades militaires d'antan.

Affectueusement,

Tuong

Commentaire: En comparant les récits présentés par le Général Tuong, les Colonels Khuyen, Luong, Long, Trang, ceux des Généraux An et Toan, on constate qu'ils sont tous dissemblables.

1. Auparavant, il a été dit que le Général Hieu a l'habitude de prendre ses repas en compagnie du Colonel Phan Huy Luong, son adjoint; ici, pour la première fois, c'était le Général Tuong qui l'accompagnait quotidiennement au mess des officiers et non plus le colonel Luong.

2. Luong se rappelle que ce jour-là, le trio: Hieu, Tuong et lui-même, bavardaient dans le bureau de Tuong en attendant d'aller dîner. Tuong a affirmé différemment.

3. La lecture des documents officiels ne semble pas si urgente au point d'empêcher d'aller dîner tout de suite. En outre, pourquoi ne pas demander à Hieu de patienter un moment, plutôt que de lui dire de retourner à son bureau et d'attendre qu'il soit rejoigne? N'y avait-il pas là une préméditation?

4. Quand Tuong écrit que "les subalternes de Hieu entraient dans son bureau pour annoncer qu'un coup de feu a été entendu provenant du bureau de leur chef", il confirme la déclaration du Lieutenant Colonel Quyen qu'il n'y avait pas de gardes près des bureaux (Quyen a dit qu'en ce jour-là Tuong a chassé toutes les unités de gardes du QG du 3ème CA).

5. C'est tout à fait étrange, lorsque les subalternes de Hieu ont entendu le coup de feu, ils se sont allés chercher le Général Tuong au lieu d'entrer immédiatement dans le bureau de leur chef afin de voir ce qui s'est passé. (La porte du bureau n'était pas fermée à clef: le garde du corps de Hieu a fait la déposition disant que ayant constaté que l'heure de travail a longtemps dépassée et ne le voyant toujours pas sorti de son bureau, il s'est allé le chercher et l'a trouvé mort).

6. Le fait que quand on lui annonce qu'un coup de feu provienne du bureau de Hieu, Tuong donne immédiatement l'ordre d'appeler la Prévôté Militaro-Judiciaire au lieu de former une équipe pour venir au secours de son collègue Hieu, démontre qu'il existait des arrangements préétablis faisant en sorte afin que les choses se déroulent comme s'il ne s'agissait qu'un banal accident mortel ayant comme seul responsable: la victime lui-même.

7. Les déclarations des "pseudo témoins" ne sont d'accord que sur un seul point : Hieu était un champion de tir au pistolet; à part cela, tous les autres détails se différencient (le drame est survenu avant ou après le dîner; avant cela, qu'avait-il comme activités ou avec qui parlait-il; l'emplacement d'où la balle entrait dans le corps). Ce fait nous amène à la conclusion qu'il y avait une dissimulation concertée - mais maladroitement interprétée - et que le Général Hieu n'est pas mort à l'heure présumée (cinq à six heures du soir) ni dans le lieu (son bureau) prétendu par ces "témoins".

"J'ai vu son corps," le père de Hieu nous a dit ce jour-là. "Non seulement suis-je convaincu que Hieu ne s'est pas tué lui-même, mais en plus je suis sûr qu'ils l'ont abattu ailleurs et l'ont ramené à son bureau. Comme ma belle-fille l'a dit, "il n'y a pas trace de sang nulle part - juste une petite tache rouge sous son menton." (Le destin d'un patriote).


Nguyen Van Tin
12 juin 2002
Mis à jour le 19 juillet 2002

Révisé le 27.12.2003

generalhieu