HONNEUR AUX MILICIENS DE 1759
 
Rappel historique d'un affrontement survenu le 13 septembre 1759 entre des miliciens canadiens et acadiens et des éléments de l'armée de Wolfe, d'après une recherche effectuée par Thomas M. Champagne, historien.
 
La bataille des plaines d'Abraham opposant les soldats de Montcalm à ceux de Wolfe est bien connue parce qu'elle marque la fin de la domination française au Canada. Par contre, le rôle joué par les miliciens qui composaient plus de la moitié de l'effectif de 4 500 hommes de l'armée française reste méconnu, si ce n'est pas simplement ignoré. Or là comme ailleurs en Nouvelle-France, leur contribution fut de taille.

Venus de la région de Québec, des Trois-Rivières, de Montréal et même de l'Acadie, ces miliciens étaient des civils parmi lesquels on retrouvait quelques Amérindiens. En bataille rangée, à l'européenne, comme la pratiquaient les soldats de Wolfe et de Montcalm, les unités de milice faisaient piètre figure. Mais dans des escarmouches à la mode du Nouveau Monde, ces francs-tireurs n'avaient rien à envier aux militaires de carrière. Parmi les plus acharnés figuraient 140 miliciens acadiens recrutés parmi les quelques centaines de réfugiés ayant fuit l'Acadie en 1758. Le souvenir de familles déportées et de villages incendiés par le conquérant décuplait leur agressivité.

L'affrontement entre Montcalm et Wolfe n'aura duré que quinze minutes. Surclassée en nombre, l'armée française manoeuvre en retraite. Vers 10h15, l'armée britannique s'ébranle sur tout son front à la poursuite des Français. C'est le début de la deuxième phase de la bataille des Plaines. Ici et là, la résistance prend forme. Le tour des miliciens est arrivé. Un groupe d'entre eux se bat près de l'actuelle colline parlementaire, un autre devant la porte Saint-Jean. Ailleurs, ils se défendent comme ils peuvent, en petits groupes ou individuellement.

La mort de Wolfe sème la confusion. Dans cette masse errante des unités britanniques, dont certains tirent sur leurs alliés à travers les nuées noires de poudre à fusil, se trouvent les Highlanders, une unité écossaise qu'on dépêche vers la porte Saint-Jean dans le but d'y neutraliser la résistance. Ils sont attendus de pieds fermes. Les canons des fortifications les forceront rapidement à se replier vers un boisé dans lequel des miliciens se sont embusqués afin de protéger la retraite de l'aile droite de l'armée de Montcalm. Ce boisé, dont il ne reste rien, s'étendait de la rue Turnbull à la rue Saint Augustin et de la rue Saint-Jean jusqu'à l'emplacement actuel du Grand Théâtre de Québec.

Les Écossais n'ont rien d'autre choix que de nettoyer le boisé. Mais la première attaque tourne mal. Nombre d'entre eux ayant délaissé le fusil pour l'épée, ils essuyent de lourdes pertes. Les renforts s'amènent. Le 60e régiment (le Royal Americans) et le 58e régiment (d'Anstruther) se joignent aux Highlanders et l'ordre d'assaut est donné aux 800 soldats ainsi réunis. Après une quinzaine de minutes de combat, le boisé est conquis et les bataillons unifiés se mettent de nouveau en marche dans l'espoir de couper la route qu'empruntent les fuyards vers la basse-ville.

Cette petite route de campagne servait de lien entre la haute-ville et la basse-ville. Elle prenait naissance au chemin Sainte-Foy et se dirigeait franc nord dans un secteur aujourd'hui borné par les rues Sutherland et Deligny. Après avoir emprunté une côte appelée maintenant Badélard, elle se terminait à la rue Saint-Vallier.

L'affrontement qui suivra entre les forces britanniques et les miliciens a fait l'objet d'une relation écrite par un témoin oculaire, le chevalier Johnstone, un militaire d'origine écossaise qui était, au moment des incidents, adjoint à l'état-major du général Montcalm.

Après être tombé vers onze heures sur les soldats britanniques qui avançaient en formation de croissant sur la route menant à la Basse-ville, James Johnstone réussi à fuir sous les balles et se retrouve au pied de la falaise. Sur un site situé au pied de la Côte d'Abraham, appelé le pré de la boulangerie, il voit les miliciens chassés précédemment du boisé, en train de se préparer à contre-attaquer.

Sans qu'aucun ordre ne soit donné, deux cents d'entre eux se mettent spontanément en marche et remontent à la charge le chemin de campagne, arme à la main et hurlant des cris de guerre. Malgré leur impétuosité, ils savent ce qui les attend. Les Britanniques ont beau être quatre fois plus nombreux, les combats sont féroces. Selon Johnstone, les miliciens se replient vers la falaise au bout de quelques minutes tout en continuant de tirer sur leurs poursuivants. Regroupés autour d'une boulangerie qui se trouvait sur le site actuel des Jardins Saint-roch, rue Saint-Vallier, ils se battent jusqu'au dernier.

Cette escarmouche aura duré dix minutes, peut-être plus. Elle aura été presque aussi longue que l'affrontement entre Montcalm et Wolfe. Elle aura fait 200 morts, autant sinon plus, que la somme des soldats français et anglais tués sur les Plaines. Enfin, on peut se demander à l'instar du chevalier de Johnstone, si le sacrifice des miliciens canadiens et acadiens n'a pas permis de sauver l'armée française en déroute et contribué à retarder la conquête de la Nouvelle-France.

Ce fait d'arme témoigne de la vaillance des citoyens soldats sous le Régime français et explique le courage des leurs décendants. Honneur aux miliciens de 1759!