LA TÊTE DE PONT DE 1759

par

Thomas M. CHAMPAGNE, historien

Le siège de Québec entre juin et septembre, comme tous les autres sièges en bonne et due forme, fut le témoin de nombreuses constructions temporaires. Malgré sa position défensive impressionnante, Québec a une faille dans son armure. L'importance de celle-ci fut démontrée lors du siège de 1690 quand les troupes de Phipps tentaient de saisir la côte de Beauport. En effet, si un assiégeant prend cette côte, le prochain obstacle sera la rivière Saint-Charles. Une fois cette zone franchie, la Basse-Ville est ouverte à l'attaque.

Pour combler ce besoin, lors de l'attaque de Wolfe, les autorités françaises ont fait construire une longue ligne de tranchées, de batteries et de redoutes. En commençant avec la Batterie Royale, entre le Parc d'Iberville et l'usine Daishowa, et en terminant avec la «Redoubt Johnstone» qui défendait les Chutes Montmorency, cette ligne de défense s'étendait de Limoilou jusqu'à ces chutes. La «citadelle» de ce système défensif était l'«oeuvre à corne» appelée aussi la «tête de pont» située à la croisée des première avenue et quatrième rue actuelles (figure 1). Ce fort gardait l'entrée de Limoilou actuelle; il était centré sur une grande maison en pierres semblable, d'après les tableaux existants, à la maison Péan sur la rue Saint-Louis ou à la maison Estèbe au Musée de la Civilisation. Il s'y trouvait aussi de plus petits bâtiments autour. Or, la grande maison était aussi, semble-t-il, le quartier général du Marquis de Vaudreuil, gouverneur de la Nouvelle-France. C'est ici que Montcalm a constaté le danger pour la ville, en voyant l'armée de Wolfe se déployer sur les Plaines.

L'«oeuvre à corne» était protégée par un mur en terre avec fossé. Ce mur fut gréé de plusieurs «points» ou bastions pour une défense maximale. Le long de la rive de la rivière Saint-Charles, le mur de terre est renforcé de pieux et défendu par des canons. L'étendue de l'ouvrage était, pour l'époque, plutôt impressionnante. Quoique plus petite que la Citadelle actuelle, elle était beaucoup plus grande que le Fort Saint-Louis (sur le site du futur Château Frontenac). En effet, elle était plus imposante que bien des forts de toute la Nouvelle-France.

Un regard sur la carte archéologique du site faite par la Ville de Québec nous montre l'emplacement du fort et donne une idée de sa superficie (figure 2). L'intérieur était contenu par la première avenue (autrefois, la rive de la haute marée), la deuxième avenue, les cinquième et troisième rues. La grande maison était sur la quatrième rue entre les première et deuxième avenues. La «tête de pont» est un site que nous avons totalement oublié. Or, son potentiel archéologique est non négligeable. Sa mise en valeur peut être intéressante. Pour les romantiques parmi nous, on peut ajouter que c'est d'ici que Montcalm partit pour sa rencontre fatidique avec l'Histoire... Malartic le décrit traversant le pont flottant, sur son cheval sombre, les yeux fixes et sans mot dire.

Québec, 25 juin 1999

© Thomas-Michel Champagne 1999