Bochra Ben Hassan et Thierry Charnay (Éds.).

Contes merveilleux de Tunisie (Dessins de Bochra Ben Hassen). Paris, Maisonneuve et Larose, 1997, 182 p.

Bochra Ben Hassan offre ce livre «à tous ceux pour qui conter n'est pas anodin». Il contient une vingtaine de contes merveilleux recueillis dans la région de Sousse pendant le mois de ramadhan 1996, quinze d'entre eux ayant été transmis par la grand-mère de Bochra Ben Hassan à sa mère et ses tantes. Ces contes sont du type couramment appelé «merveilleux», terme ambigu qui pourrait bien ne traduire que l'incompréhension de ceux qui l'emploient, face à des récits dont le sens leur échappe. Et dans sa préface, Thierry Charnay précise fort bien qu'on appelle ainsi des contes qui développent un contenu mythique, qui «explorent narrativement les différentes possibilités d'organisation du monde»; mais cela, nous ne pouvons plus le comprendre sans procéder à un travail d'interprétation et de reconstitution. Que ces contes aient un contenu mythique, on n'en peut douter, notamment en retrouvant parmi eux le mythème de «l'homme qui épouse une femme-cygne capturée par destruction de sa robe de plumes» (el-wezza: «Le Cygne», pp. 141-144). Ces contes sont introduits et clos par des formules rimées et rythmées («Il en était ce qu'il en était...»), et la soirée de conte elle-même s'ouvre par une longue tirade du type «menterie» ou «fatraserie», contenant la belle expression: kedb yifallaq «c'est un mensonge capable de fendre les bûches». Les aventures se déroulent «au pays des ogres et des dangers» (blêd el-aghouel wa-l-ahwel), les héros doivent rechercher «l'oiseau chanteur à l'aile qui répond», un scarabée femelle a les yeux cernés de khôl et les lèvres colorées à l'écorce de noyer, les récits se succèdent comme à la veillée, et la transcription restitue très fidèlement la parole conteuse, tout en évitant l'écueil d'une transcription servile. Bref, le tout forme, c'est le cas de le dire, un véritable enchantement (seuls regrets: que la transcription des termes arabes ne soit pas cohérente, et surtout, que le livre ne soit pas bilingue). Le préfacier explique que si ces contes relèvent bien évidemment d'un fonds maghrébin commun, voire d'un vieux fonds sémitique spécifique, ils n'en présentent pas moins des ressemblances remarquables avec certains contes européens, alors que leurs rapports avec Les Mille et Une Nuits semblent beaucoup plus ténus. En conséquence, se pose la question du sens commun à des récits appartenant à des aires culturelles très différentes, et bien sûr toutes les interrogations touchant aux origines, aux emprunts, etc. À ce propos, ce recueil est riche d'indices intéressants, comme cet «ogre endormi sur une oreille et recouvert de l'autre» (p. 44), qui rappelle évidemment les fameux Enotokoitai &endash;se vêtant de leurs oreilles, dormant couchés sur une et se recouvrant de l'autre&endash; qui étaient déjà connus du géographe grec Scylax de Caryanda (vers le VIe siècle avant J.-C.) dont Strabon utilisa les informations. Et naturellement, s'intéresser à de tels rapprochements, poser les questions du sens et de l'origine, sont des attitudes qui n'ôtent rien à la délectation de ces contes, dont la diffusion permettra de «contribuer à la compréhension interculturelle, et, par là, à l'acceptation des différences, à la compréhension de l'autre qui se trouve, finalement, n'être pas si éloigné, n'être pas si étrange ni si étranger».

Non, décidément, chère Bochra Ben Hassan, «conter n'est pas anodin»!

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