Edouard de Brazey et Jean-Pascal Debailleul.

Vivre la magie des contes. Comment le merveilleux peut changer notre vie. Paris, Albin Michel, 1998, 331 p.

Les auteurs de ce livre sont présentés, le premier comme «auteur de nombreux ouvrages dont une Enquête sur l'existence des fées», et l'autre comme «conteur et thérapeute», animant un séminaire «dont ce livre s'inspire» (l'association des mots «conte» et «thérapie» fait toujours redouter qu'il ne s'agisse que de considérer une fois de plus les contes comme des outils au maniement simplissime, au service de psycho-pédagopportunistes qui les réduisent à un répertoire de recettes toutes faites... contes-en-kit, prêts-à-guérir). Ici, l'ouvrage s'ouvre sur un avertissement: «Le livre que vous tenez entre les mains n'est pas un livre comme les autres. C'est un livre magique». Bigre! Et pourquoi donc? «Parce que les contes merveilleux sur lesquels il se fonde sont eux-mêmes magiques. Ces contes, sous l'apparence de récits enfantins, sont en réalité de véritables guides pratiques, destinés à dévoiler aux humains les grands principes secrets qui régissent leur vie et leur évolution». Voici une affirmation qui ne rassure guère sur la compétence des auteurs... Pour peu, en tout cas, que le lecteur ait quelque tendance à se méfier des déclarations qui commencent par «en réalité», souvent redoutables.

Cette méfiance peut remonter loin: jusqu'aux affirmations du grec Evhémère qui disait, en substance, que les mythes ne racontent, «en réalité», que des histoires véridiques déformées par la mémoire populaire. Et depuis l'Antiquité, nombreux sont ceux qui ont répété que les contes merveilleux, «en réalité», n'étaient «que» ceci ou cela (souvenirs de culte solaire, descriptions d'anciens mythes, récits initiatiques, etc.). Allons! pense le lecteur, en voici encore deux qui ont tout compris, qui ont trouvé «la» clé de lecture des contes merveilleux et ne vont jurer que par elle. Eh bien, tout juste! Et les auteurs le disent eux-mêmes (p. 10): «Ce livre, justement, nous fournira des clés»... Aïe! on s'en doutait. Et d'où viennent-elles, ces prétendues clés? à quelle «chambre secrète» vont-elles nous donner accès? Réponse: à «l'antique tradition [...]. Cette tradition secrète [...] qui est à la base de toutes les spiritualités et toutes les religions du monde, mais dans les contes, elle se présente de façon tellement simple qu'elle est restée pure, inchangée». Allons, quelle plaisanterie! «Toutes les religions du monde» remonteraient à la même «tradition secrète» que les contes? Alors, c'est par centaines que se compteraient les spécialistes des traditions orales et de l'histoire des religions qui se seraient trompés, puisque des milliers de livres, que dis-je, des bibliothèques entières (comme celle de l'Indiana University, par exemple) démontrent le contraire. Mais à quoi bon lire tout cela? Nos deux auteurs ignorent tout, absolument tout, de ce qui a pu être écrit sur le sujet. Si leur propre livre ne comprend aucune bibliographie (sauf les références &endash;aux frères Grimm, à Emmanuel Cosquin et Idries Shah&endash; des 41 contes qu'ils utilisent), c'est que visiblement, ils s'estiment très loin au-dessus de la nécessité de s'informer. Lire les études des spécialistes du conte, cela va bien pour ceux qui n'y connaissent rien, n'est-ce pas? Car il y a deux sortes de gens: ceux qui ne sont jamais sûrs de rien, vérifient leurs sources, multiplient les recoupements, s'informent auprès de leurs prédécesseurs et collègues, et ceux qui, d'avance, comme nos deux auteurs, savent. Alors il n'est pas très utile de s'attarder à critiquer sérieusement un tel livre, qui a la prétention de nous donner les «clés» des contes merveilleux en ne s'appuyant que sur 41 exemples (alors que le catalogue international répertorie plus de 700 types différents pour les seuls contes de magie) &endash;tout en restant dans l'ignorance des mythes et traditions orales. Il suffira ici de dire que tout l'ouvrage suit la même formule, répétée pour chaque conte: d'abord une présentation de celui-ci sous forme de résumé, puis une partie intitulée «Clés actives du conte» et qui en est une sorte de paraphrase, ensuite une section «miroir du conte», une «mise en œuvre du conte», et enfin un court texte encadré sous le titre «invitation du conte», et qui est supposé en résumer l'enseignement. Voici quelques exemples de la profondeur de pensée déployée dans ces encarts: «Pour réussir sa chance, attention à ce que la chance attend en retour» («La Belle et la Bête»), «Implanter une présence libre au cœur des états négatifs» («Un-œil, Deux-Yeux, Trois-Yeux»), «Voir et vivre la vie en fils de la fécondité » («L'Homme de Fer»), «Percer les concepts de sensations jusqu'à ce que surgisse la vision résolutoire» [sic !] («La Boule de Cristal»). La partie intitulée «mise en œuvre du conte» donne des conseils pratiques; ainsi, à propos du conte des «Trois Plumes»: «Faites-vous une liste de besoins qui pourraient vraiment mériter un miracle. Par exemple: vous cherchez un grand appartement en plein centre-ville [...]. Reformulez ces besoins comme des demandes à la Fécondité, qui seule pourra les accomplir par grâce» (citation exacte, je n'invente rien!).

À la manière d'un prédicateur médiéval commentant, du haut de sa chaire, un exemplum édifiant, la partie «miroir du conte» commence généralement par la phrase «Cette histoire est notre histoire». Par exemple, à propos du «Petit Tailleur»: «Cette histoire est notre histoire. Nous aussi pouvons avoir subitement une vision inspirée de nous-même...». Ou bien: «Cette histoire est notre histoire. Nous aussi pouvons être étreints par des forces nuisibles... » («Frérot Sœurette»); «Cette histoire est notre histoire. Nous avons tous un vœu qui nous tient à cœur...» («Le vieux Cric-Crac») ou à propos du «Serpent blanc»: «Il y a en nous une présence affirmative qui attire la fécondité dans notre vie à travers des dons merveilleux». Le livre se clôt sur les lignes suivantes, concluant le commentaire du conte «Le Tapis», emprunté aux Contes Derviches d'Idries Shah: «Les questions vitales intéressent la Fécondité, car elle s'en sert pour l'accomplissement de ses desseins». Pardonnez-moi, mais je sens en moi une présence active repoussant le prêchi-prêcha de ceux qui prétendent avoir la science infuse.

 

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