Émile Souvestre, Paul Sébillot.
Trois fées des mers. Édition établie et postfacée par Françoise Morvan. Paris, José Corti (Collection Merveilleux n° 3), 1998, 176 p.
Ces fées sont tout droit sorties de trois contes signés d'auteurs que nombre de choses opposent, bien que tous trois se soient intéressés aux contes populaires. L'écriture d'un conte littéraire comme «Les fées de la Mer» permet à Alphonse Karr (1808-1890), de se libérer du joug de l'académisme en se laissant progressivement gagner par un humour qui, pour un peu, deviendrait ravageur... Grâce à une joie d'écrire annonçant par certains côtés le surréalisme, ce conte reste lisible de nos jours, malgré la lourdeur de certains apprêts convenus du genre &endash;par exemple le fait de donner un nom propres aux fées (ici: la fée Smaragdine). Et l'accumulation des détails «délirants» finit par faire sourire: à cet égard, la visite du Musée, au pays des fées, «mérite le détour», comme on dit dans les guides touristiques. Pour être également littéraire, le conte d'Émile Souvestre (1806-1854) qui fait suite au précédent au sein du même recueil, ne veut surtout pas se présenter comme une création &endash;qu'il est pourtant&endash; mais comme le témoin d'une tradition à jamais naufragée. Le résultat est un conte (La Groac'h de l'île du Lok) également apprêté, mais où la fantaisie de l'invention fait place à l'utilisation habile de traditions diverses, effectivement recueillies de vive voix, mais mises en ordre pour aboutir à une reconsitution trop belle, évoquant celle qu'affectionnaient les archéologues contemporains de l'auteur. Souvestre est un Viollet le Duc des contes populaires, qui produit, ainsi que le souligne Françoise Morvan dans sa postface, «un texte double, partagé entre la recherche d'une perfection initiale à reconstituer et l'obligation de la reconstituer en fonction de critères littéraires, tout en niant cette reconstitution». Le dernier texte du livre, noté par Paul Sébillot (1846-1918), est sans doute le plus proche de la tradition de contes à la recherche desquels ce grand folkloriste a consacré sa vie, suivant une vocation qui lui vint fort jeune, au collège de Dinan, après la lecture... du Foyer Breton de Souvestre. Mais Sébillot refuse de retoucher les récits qu'il recueille, les transmet le plus simplement possible, ne cherche pas à les entrelarder de proverbes ou d'expressions «typiques», et s'efface du mieux qu'il peut pour faire entendre la voix de son informatrice, qu'il prend soin de citer, tout en lui rendant hommage. C'est pourquoi sans doute, en nous donnant La Seraine de la Fresnaye, il a laissé un texte finalement bien plus riche et plus touchant que ceux de Karr et de Souvestre. D'autres lecteurs seront peut-être d'un avis différent, et c'est tant mieux. Mais il reste que c'était une bonne idée que de réunir ces trois auteurs sous un même titre, car leur proximité inattendue suscite la réflexion sur ce qu'est le conte, et sur ce qu'est écrire ou transcrire. Dernière précision: ce livre est paru dans une nouvelle collection intitulée «Domaine mer-veilleux», qui annonce déjà des titres très prometteurs.