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Le Mouvement des Lumières


Candide ou l’optimisme (1759)

Voltaire (1694-1778)


- Chapitre Troisième:



« Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu'il n'y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d'abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put pendant cette boucherie héroïque.
Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum chacun dans son camp, il prit le parti d'aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d'abord un village voisin ; il était en cendres : c'était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs ; d'autres, à demi brûlées, criaient qu'on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupées. Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village : il appartenait à des Bulgares, et des héros abares l'avaient traité de même. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants ou à travers des ruines, arriva enfin hors du théâtre de la guerre, portant quelques petites provisions dans son bissac, et n'oubliant jamais Mlle Cunégonde. »



EXPLICATION :

Premier Chapitre : Candide, simple et naïf, a une vie heureuse dans la principauté d’un baron ridicule et plein e préjugés. Le philosophe Pangloss est aussi ridicule que son maître ne ce que ses théories ne sont faîtes que pour le flatter. Candide, finalement, est chassé de cet Eden parce qu’il a embrassé Cunégonde, voulant imiter Pangloss et une femme de chambre.
Deuxième Chapitre : Candide erre, affamé, sans aucun toit pour dormir. Naïf, il ne reconnaît pas des officiers recruteurs bulgares qui en profitent pour l’enrôler de force. Les brimades sont telles qu’il déserte. Arrêté, il ne doit la vie qu’à la bonté du roi des bulgares. Une fois guéri, il doit immédiatement livrer bataille contre le roi des abares pour le roi des bulgares.

I) La Parodie des récits de bataille
Il se moque du ton emphatique des récits héroïques (exaltation de la valeur des chefs, de la bravoure des soldats). Le passage est ironique car il traite le sujet avec légèreté, voire désinvolture ; cette insouciance est celle des chefs qui dirigent ce massacre (1). Voltaire critique aussi ici la philosophie Pangloss (2) mais également les souverains (3) et le clergé souvent enclin à bénir l’action des rois (4).
Exemple : 1. Ironie : - image de la guerre: magnifique spectacle, parade (uniformes éclatants, ordre parfait, harmonie); charmante (musique : énumérations des instruments, allusion à l’harmonieàharmonie préétablie de Leibniz); divertissante (images du théâtre ou de la salle de concert).
- dissonances et discordances (bruit du canon rompt l’harmonie et renvoie à la réalité brutaleàcf image de l’enfer) ; hécatombe systématique et méthodique (gradation dans l’horreur: canons 6000 ; fusils 9000 ; baïonnettes, estimation désinvolteàmassacre total)
2. « renverser »àsoldats de plomb ; « meilleur des mondes possibles » et « raison suffisante ».
3. soldats, rempart de l’autorité et source de la gloire des rois, deviennent des « coquin » dont il faut purger la surface de la Terre ; « le tout »àdésinvolture criminelle, indifférence ; « âme » et ironie de l’oxymore « boucherie héroïque »àhypocrisie
4. « âme » complicité du clergé qui cautionne : cf. « Te deum »

II) Dénonciation des cruautés inutiles
Voltaire peut approuver certaines guerres au nom de la défense des intérêts d’un peuple (réponse à une agression) mais ce qu’il abhorre ce sont les massacres inutiles. C’est pourquoi il décrit ici les horreurs commises sur la population. Il attire l’attention du lecteur sur les preuves concrètes de l’absurdité de la guerre (1), il proteste en faveur de l’Homme et rappelle la valeur de la vie (2). Le réalisme de ce passage est insoutenable. Il dissémine quelques pointes ironiques (3). Le tableau est pathétique parce que organisé. Il donne u sujet de méditation : N’est-ce pas révoltant que l’Homme, doué de raison et de sensibilité, puisse être réduit à un amas de cervelles, de jambes et de bras coupés ?
Exemple : 1. contraste avec le 1er paragraphe car disparition du mouvement, tableau statique.
2. Ton grave et douloureux (protestation) ; « mamelles sanglantes » valeur de la vie.
3. soldats présentés comme héros agissant selon un droit naturel (cf. « loi du droit public »).

III) L’attitude de Candide
1er temps : il paraît séduit par le faste du spectacle. On peut croire que la vision que nous en avons est la sienne. Voltaire rappelle qu’il est toujours sous l’influence des idées de Pangloss (1) et se moque de lui en le faisant représentant des philosophes des on temps : hardi en parole mais pas en acte (2).
Mais rappelons qu’il est ce qu’on a voulut qu’il soit ; il n’a jamais été confronté à la réalité. La guerre révèle ses faiblesses mais va le faire méditer sur tout ce qu’il a ingurgité avec Pangloss.
2eme temps : horrifié par le spectacle. Dernière phrase touchante : il essaie d’oublier ce qu’il voit en se raccrochant à des idées simples (l’amour des autres, de la vie) ; il devient à son insu un humaniste (3).
Exemple : 1. sa vision = 1er paragraphe (notamment allusions à Pangloss)
2. dernière phrase du 1er paragraphe
3. dernière phrase du 2e paragraphe

Texte polémique, même militant. Voltaire suit la voie tracé par Rabelais dans la critique de la guerre. Pour lui, elle est le pire des maux qui puisse accabler l’humanité, c’est pourquoi, il n’hésite pas à confronter son héros à ce spectacle. Pour dénoncer le guerre, Voltaire décide de ne pas argumenter, raisonner ou démonter mais de montrer car il sait que certains spectacles s’impriment durablement dans l’âme : celui de la vertu comme celui de l’horreur, celui du Bien comme celui du Mal. Son but est de défendre la liberté et la dignité humaine.
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