URSULA GAUTHIER

ET ILS AURONT BEAUCOUP DE PETITS INTERNAUTES

Les amants du Web

Un tiers des usagers d'Internet ont entre 15 et 24 ans, l'âge des premières amours. La mondialisation des coeurs est en marche...


C'est une histoire d'amour et de cybernétique, une histoire de toujours qui n'aurait pas pu se produire autrefois. En 1996, Gérald L., 24 ans, assistant trader, perfectionne son italien sur IRC (Internet Relais Chat, le réseau du dialogue en direct). En quelques clics de souris, il rencontre Juliana, jeune avocate brésilienne de 21 ans. La magie du Web efface 10 000 kilomètres. Quelques « pianotis » de plus leur révèlent leurs affinités, les transforment en interlocuteurs privilégiés qui se laissent aller aux confidences. Car sur le Web, on se dit tout et sans tabou. Du dernier Coppola à leurs convictions religieuses, en passant, pourquoi pas, par les positions du Kama-sutra. Tout cela dans un savant désordre, dont sont spécialistes les surfeurs aguerris. « Avec le dialogue virtuel, s'enflamme Gérald, le coeur a ses raisons que la raison connaît. On aime l'autre pour ce qu'il pense, ce qu'il est, sans être aveuglé par son image. » Certains, bien sûr, profitent de l'anonymat de l'écran pour se masquer mais les mensonges, dit-il, ne résistent pas à la durée des correspondances.
Arrive donc le jour où, se connaissant si bien, ils désirent lever le voile : « Nous avons échangé des photos, raconte Gérald. Mon meilleur ami Tony croyait à une plaisanterie tant Juliana semblait jolie ! » Le bonheur platonique n'a qu'un temps. La force de cette passion désincarnée ne peut suppléer l'aspiration des sens. Après dix mois d'amour virtuel, Juliana débarque à Paris le 4 juillet 1997. Leur première rencontre a des allures de retrouvailles. Leur complicité passe l'épreuve de la réalité. Les tourtereaux d'Internet se mettent à rêver de fonder une famille. Gérald se rend à son tour à Goiânia, au centre du Brésil, pour rencontrer les parents de Juliana. Les amants du Web se marieront fin 1998 et auront beaucoup de petits internautes... En attendant, Gérald et Juliana se donnent des rendez-vous électroniques quotidiens. Une heure trente chaque soir, des nuits entières les vendredis et samedis. « Je la vois tous les soirs », dit-il ! Plus prosaïque, il ajoute : « Pour 500 francs par mois, on ne peut pas trouver mieux ! »
Dialoguer sur le Net peut facilement devenir une drogue. D'autant que les prix sont attractifs. Une raison de plus pour s'en donner à coeur joie. « On s'e-mail ? », entend-on dans la bouche des ados à la sortie des lycées. L'amour virtuel s'offre à eux comme les Carambar de leur enfance. « Ils sont de plus en plus nombreux à passer des heures sur IRC », confirme Cécile, l'animatrice du Webbar, un des premiers cybercafés parisiens. En un an, le nombre d'internautes a plus que doublé. La planète en compte aujourd'hui 80 millions, dont près de 3 millions de Français. Un tiers des usagers ont entre 15 et 24 ans (1), l'âge des premières amours. La mondialisation des coeurs est en marche.
Revers de la médaille, la « cyberdépendance ». Mettra-t-elle les amants électroniques en danger quand un banal lit conjugal remplacera l'écran magique de leurs nuits blanches ? Les sirènes de la « toile » (2) n'envoûteront pas Gérald et Juliana. C'est promis : quand ils vivront ensemble, ils oublieront le Net !

(1) 28% précisément. Ce chiffre, publié pour la première fois par la presse française, est tiré de l'étude « Médiangles on line », réalisée en mai 1998.
(2) World Wide Web (WWW) : littéralement, « toile d'araignée mondiale », souvent abrégé par Web.