PINOCHET OU LA JUSTICE VEULE
Un article par Olivier Ffrench
Au mois d'octobre dernier, un groupe de policiers anglais est venu signifier son assignation à résidence à un vieillard venu se faire soigner dans leur pays. La presse occidentale s'est félicitée de cette opération et a donné raison à l'obstination du juge qui en était la cause principale. Le général Pinochet, était effectivement une personne digne d'être arrêtée, extradée et jugée pour les crimes commis pendant la dictature militaire au Chili de 1973 à 1990. Un palmarès d'environ 3000 morts, la plupart assez violentes. Soit.
Dans un article de décembre 1998, Time Magazine s'interroge sur les causes profondes de cette arrestation. La communauté internationale prendrait elle enfin les bonnes décisions en ce qui concerne les dictateurs actuels ou passés, contre leurs actes de terreur ? Si on regarde plus attentivement, il parait évident que non. Les dictatures, militaires ou non, actuellement en place dans nombre de pays ne sont apparemment pas menacées. Laurent Désirée Kabila, le grassouillet boucher africain qui a probablement bien plus de sang sur les mains que Pinochet, est reçu à l'Elysée. Li Peng qui a eu pour principal mérite de venir a bout du printemps de Pékin dans le sang reçoit des investisseurs étrangers, Karadzic est toujours en Bosnie, alors que des soldats Français auraient, dit-on, eu plusieurs occasions de l'arrêter. J'en passe et des meilleures.
Pourtant Manuel Noriega est actuellement en prison aux Etats Unis, suite à l'invasion, on ne peut plus illégale de son pays et à sa capture. C'était un méchant trafiquant de drogue nous dit-on. Pourtant on vient de capturer un général Serbe de Bosnie, professionnel de l'épuration ethnique ayant opéré à Srebrenicza. Pourtant Pinochet.
Alors ?
Tout cela ne relève pas de la justice, mais plutôt de la loi du plus fort et de sordides jeux d'influence. Il est bien plus facile de s'attaquer à un vieux général à la retraite, qui a eu l'imprudence de laisser son pays prendre le chemin de la démocratie, que de refuser de recevoir un autre général dont le pays contient d'importantes ressources naturelles. Il est plus facile d'envoyer des forces militaires en nombre plus que largement suffisant se saisir d'un général trafiquant de drogue (et accessoirement se rendre maître d'un canal vital), que de refuser de serrer la main du boucher de Tian An Men lorsque de juteux contrats sont en jeu.
Les dictateurs, les tortionnaires, les nettoyeurs ethniques PEUVENT craindre d'être un jour traduits en justice SAUF:
- S'ils sont encore en service et soutenus par la population de leur pays (Saddam Hussein)
- S'ils sont encore en service, pas totalement soutenus par la population, mais que leur pays détient des intérêts suffisamment importants pour qu'on les prennent en compte (Laurent Désirée Kabila)
- S'ils ne sont plus en service mais toujours populaires et dans une zone où on ne pourra pas les arrêter sans danger (Radovan Karadzic)
- S'ils ne sont plus en service, mais réfugiés dans un pays non démocratique qui se soucie moyennement des droits de l'homme (Idi Amin Dada, qui vit en Arabie Saoudite)
- S'ils ne sont plus en service, mais sont dans un pays qui leur à accordé sa protection pour des raisons, heu... diverses (Bébé Doc, qui vit en France)
- S'ils ne sont pas poursuivis avec acharnement par des hommes résolus et inflexibles comme le juge Garzon.
Bref, les chantres des droits de l'homme qui veulent mettre en place une cour de Justice internationale n'ont pas fini d'en déplorer l'inefficacité. Elle ne pourra s'attaquer qu'aux plus faibles de ses innombrables cibles potentielles, qu'à ceux qui ne bénéficieront plus d'aucune protection et se trouveront, par mégarde, dans un territoire propice à leur arrestation. Car la Justice n'est pas aveugle, elle regarde au contraire où elle met les pieds avant de s'engager sur des terrains glissants.
La Justice est veule.
8 Décembre 1998
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